Il y a quelques années, j’ai écrit une série de billets sur l’astrologie et la voyance suite à une publicité de qualité retrouvée dans un Nouveau Détective. Même pas honte. Le sujet est revenu sur le tapis via Facebook, du coup je me suis dit qu’un petit mot à ce sujet serait peut-être utile.
Comme je le disais précédemment, j’ai été amenée par besoin de bosser à pratiquer de la voyance par téléphone. J’ai aussi pratiqué les cartes pour les amies assez régulièrement, dont certaines vont probablement me lire. A elles, avant de me jeter des cailloux, lisez au moins la conclusion.
Au départ, j’étais bluffée. J’ai commencé à 12 ans avec un jeu retrouvé chez mes grands parents, puis j’ai réussi à annoncer des choses qui se sont passées, bonnes ou mauvaises. Je n’en revenais pas : ça fonctionnait vraiment ! Mon jeune esprit de l’époque, abreuvé de littérature fantastique, était perméable à tout et n’importe quoi. L’avantage c’est que j’ai appris plein de choses sur la graphologie, la chiromancie et à peu près moults autres arts divinatoires délirants.
Bref.
Il est l’heure de débunker un peu tout ça.
Qui consulte les voyant-e-s ?
Cette première question est importante car elle permet de comprendre la suite. Tout d’abord, ça peut sembler ridicule de le préciser, mais les consultant-e-s sont pour la plupart convaincus que la voyance est un vrai truc. En 20 ans, je n’ai croisé que deux sceptiques. Et même eux, on peut réussir à les convaincre !
Les motivations
Le désespoir : La personne désespérée est en proie à une situation complexe ou intenable, qui lui cause une réelle souffrance. Elle cherche simplement être écoutée.
La confusion : Face à une situation soudaine (séparation, maladie, coup du sort), certaines personnes se retrouvent complètement démunies. La voyance “permet” dans ce cas de recoller les morceaux, y voir plus clair.
La curiosité : Beaucoup de consultant-e-s viennent “pour voir”. Les sceptiques sont dans ce lot. En règle générale, la question est du genre “que l’avenir me réserve-t-il ?”
Le choix : Choix amoureux, professionnel. La personne vient en général avec une seule question.
Les sujets de consultation
L’amour : Le sujet n°1 de préoccupation des personnes qui font appel à un-e voyant-e. Est-ce qu’elle-il m’aime ? Est-ce que mon couple va durer ? Est-ce qu’elle-il me trompe ? Dois-je la-le quitter ?
Le travail : Suite à une perte d’emploi, ou face au choix entre plusieurs voies (employeur, mutation, carrières…).
L’argent : Vais-je gagner au loto ? Aurais-je dû jouer mes 50€ au lieu d’aller les dépenser chez un-e voyant-e (celle-ci, j’ai la réponse) ?
La santé : C’est un sujet récurrent, mais peu répandu. En général, les gens portés sur la voyance ont aussi un-e naturopathe, homéopathe, etc.
La voyance : comment ça marche ?
On a tous une personne dans notre entourage qui nous a affirmé que bon sang, grave que ça marche. On a prédit un truc, il se passe, magie !
En fait, tout se passe en plusieurs phases :
1 – Ouverture de la séance
C’est ici que tout se joue. L’avantage, c’est que la plupart des gens vous donnent toutes les clefs à ce moment précis.
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Si la personne est dans la détresse émotionnelle (désespoir), la séance va surtout servir à l’écouter.
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Si la personne est confuse, on va la faire parler, et reconstituer le puzzle avec elle.
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Si la personne est curieuse et pose des questions générales, c’est un peu plus compliqué, mais pas injouable. Le début de séance sert surtout à prendre la température.
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S’il s’agit d’un choix à faire, la personne vous pose immédiatement la question qui la préoccupe. C’est un des publics les plus faciles.
Le but du jeu c’est donc d’en apprendre le plus possible sur la personne, son environnement proche, les raisons de sa consultation.
2 – Le tirage
Cette étape est optionnelle, en fait. On pourrait faire des tirages avec des capsules de bière que ça serait pareil. L’important sera le décorum, l’ambiance, et surtout les informations qu’on puisera chez la-le consultant-e. Plus le jeu est complexe ou abstrait, mieux c’est. De cette manière, la-le voyant-e reste maître-sse de la situation. Cette position d’autorité est vitale et permet d’enchaîner avec la suite de manière plus facile.
Vous pouvez ponctuer la sortie de certaines cartes par des “ho ho” ou des “hmmm…” tout en observant bien la réaction en face.
3 – L’interprétation
Cette phase, la plus complexe, nécessite une bonne connaissance de la lecture à froid. On connaît mieux la personne, ses motivations, il va s’agir d’y aller petit à petit. Observez ses réactions, sa gestuelle, quelles cartes attirent son regard…même les plus sceptiques vous donneront des éléments malgré eux !
N’ayez pas peur de vous tromper, mais surtout, restez dans le flou. Si vous vous plantez complètement, dites que les cartes ne “parlent” pas, évoquez des blocages (provenant toujours de la personne, évidemment), car la situation est complexe. Dites que la situation est plus difficile à appréhender que vous le pensiez, froncez les sourcils et faites semblant de vous concentrer avant de tenter une autre approche.
4 – La conclusion
S’il s’agit d’une situation de désespoir, on s’arrête là. Laissez parler votre consultant-e encore un peu, rassurez, réconfortez.
Si la situation est confuse, en général les pièces ont été rassemblées lors des phases 2 et 3.
Si la consultation porte sur un sujet général, vous avez apporté des bonnes nouvelles, parfois nuancées, en fonction de la température de votre consultant-e. La “mauvaise nouvelle” suscitera assez de curiosité pour pousser la personne à revenir. Mais terminez toujours sur une note positive.
Si l’objet de la consultation était une question fermée, faites en sorte que votre consultant-e apporte la réponse. Vous pouvez orienter la conversation en disant “Bien, d’après ce que nous avons pu voir, la situation est celle-ci…qu’en pensez-vous ?”. Dans tous les cas, confirmez.
Exemples (tirés de faits réels) :
Marie-Loutre vient consulter car elle pense que son conjoint la trompe. Un de ses collègues de bureau lui fait des avances, et elle est remplie d’incertitudes. Durant la séance, elle confie un peu plus son histoire : elle est en couple depuis 14 ans, a 2 enfants, son conjoint est très pris par son travail et part régulièrement en déplacement. Son collègue de travail est charmant, agréable, et elle le voit toute la journée. Elle n’a aucune preuve de la présumée liaison de son mari alors qu’elle s’est mise à espionner son portable et son compte Facebook.
Le tirage : “séparation”, “doute”, “enfants”, “jalousie”
L’interprétation : La carte “séparation” a beaucoup ému Marie-Loutre, elle a fait un geste de la main comme pour balayer l’image. Sourire à l’évocation des enfants. Elle n’envisage donc pas une séparation car elle craint que cela fasse du mal à ses enfants.
Elle se sent manifestement coupable d’avoir des vues sur son collègue, et se demande donc si ce n’est pas le cas de son mari. Il faut rester flou sur le fait qu’il la trompe ou pas, vu qu’on n’en sait rien. On peut tout de même entretenir son doute.
La conclusion : Son mari a en effet une relation ambigüe avec une de ses collègues (symétrie avec sa situation à elle), mais qu’il est dans le doute sans avoir sauté le pas. Le problème central est manifestement la routine installée dans le couple. On peut donc commencer par la rassurer et lui conseiller de confronter son mari et de lui faire part de ses doutes. Dans tous les cas, on est quasi-sûr qu’elle reviendra consulter…
Jean-Rascal est sceptique, il arrive en consultation avec un sourire narquois et dit “allez-y, impressionnez-moi !”. Lorsqu’on lui demande de choisir 4 cartes, il sort les 4 premières. On sait juste qu’il a 22 ans, qu’il est originaire de la Réunion.
Le tirage : “voyage à l’étranger”, “tensions familiales”, “trahison”, “séparation”.
L’interprétation : A 22 ans, il est peu probable qu’il soit marié mais il est envisageable qu’il ait au moins vécu une séparation. La carte “trahison” a provoqué un tressaillement très visible, l’évènement doit le concerner et être récent. On parle donc de cette séparation douloureuse dont le souvenir reste vivace. Il s’est senti trahi par son ex qui est avec quelqu’un d’autre. Autre tressaillement : c’est quelqu’un qu’il connaît.
Il existe toujours des tensions dans n’importe quelle famille, on peut considérer l’option que ses parents ne s’entendent pas comme au premier jour, ou aient divorcé. On sait qu’il est originaire d’outre-mer, il voyage donc régulièrement tout comme ses parents.
La conclusion : Ses parents viennent de divorcer, son père a entrepris un voyage en voilier autour du monde. Son ex-copine l’a trompé avec un de ses amis. Mon sceptique est bluffé.
Pourquoi ça fonctionne ?
C’est tout bête. En réalité, votre interlocutrice-eur vous apporte tout et va finir par répondre à ses propres questions. La vaste majorité des personnes sont déjà acquises à la cause. Beaucoup vont se livrer et donner énormément d’éléments ! Si on a un bon sens de l’observation, c’est bonus.
Le fait de rester flou a plusieurs fonctions : permettre à la personne de combler les blancs d’elle-même et de dire des choses “vraies” sur sa situation.
En effet, il y a des constantes : doutes en amour (doute sur les sentiments de l’autre en début de relation, doutes sur la fidélité au bout de quelques années, doutes sur la durabilité du couple en général), problèmes familiaux, difficultés dans l’éducation des enfants, sentiment d’impuissance, problèmes au travail (salaire, responsables, sentiment de ne pas être vu à sa juste valeur). Ici, la connaissance de la nature humaine est importante. Tout est question de probabilités !
Pour les sceptiques, le flou volontaire cumulé avec des techniques de lecture à froid suffiront à insuffler un doute, même minime.
Et si on se trompe complètement ? La personne ne reviendra peut-être pas, mais avec tous les outils à notre disposition, il est difficile d’être complètement à côté de la plaque.
Pour finir
A mon sens, le tirage de cartes est assez proche de l’effet placebo sur beaucoup de points. Ça fait du bien sans principe actif, ça nécessite une bonne dose de manipulation, les résultats sont souvent invérifiables. La voyance peut faire du bien, car on écoute avant tout, on s’intéresse à la personne en face, on s’investit, on participe.
Après quelques années de pratiques, j’ai fini par comprendre tout ça. J’ai tout de même continué. Pour quelle raison ?
Le tirage de cartes (ou autre processus “divinatoire”)est en réalité un simple support. Je vois ça comme un instantané de la trajectoire de la personne, peu importe ce qui est dit par les cartes. Le Yi-King est l’exemple par excellence de cette notion d’instantané. On est en fait purement dans le présent. Ce support apporte un moyen de communiquer autrement, sans être directement face à l’autre. Ce sont les cartes qui “parlent”, qui disent les choses. Alors, la-le consultant-e se permet d’aborder plus librement ses problèmes, car au fond, on a le sentiment que tout repose sur les cartes et uniquement elles.
D’une certaine manière, on est dans un échange, une conversation qui permet d’aborder des sujets de préoccupation somme toute assez classiques. L’interprétation, donnée pour l’essentiel par la-le consultant-e lui permet d’y voir plus clair, car posé en quelque sorte sur les cartes. On pourrait tout à fait arriver aux mêmes conclusions en parlant simplement, mais tout le cérémonial autour du tirage augmente l’impact de la “parole” des cartes.
Là où il faut rester honnête, ce que malheureusement aucun-e pro dans le domaine ne fait, c’est que la voyance ne peut se substituer à des soins psychologiques. En travaillant pour une entreprise spécialisée dans ce domaine, j’ai été très rapidement écœurée par l’aspect cynique et pécunier du truc. On encourage à la consommation, on abuse de personnes fragiles, et on leur tire parfois des sommes extravagantes !
La grande majorité de mes “collègues” savaient pertinemment qu’il s’agissait d’une escroquerie. Evidemment, il y en a qui croient totalement en leurs pouvoirs de divination…et ça renforce encore l’effet Barnum associé à la voyance.