Feminism 101

Il était temps que je finisse enfin cet article qui traîne dans mes cartons depuis trop longtemps. Parce que j’entends toujours les mêmes questions, que les discussions tournent finalement toujours autour des mêmes arguments. J’essaye dans cet article de faire au plus simple et compréhensible, car bien souvent, aussi passionnant soient-ils, les articles que je rencontre ne sont pas à la portée de tou-te-s (beaucoup de notions à connaitre, de vocabulaire particulier, etc.)

Disclaimer : tu es un homme blanc cis (aka cisgenre, c’est à dire que ton identité de genre correspond à ton sexe de naissance) hétérosexuel ? Cet article est fait pour toi ! Il s’adresse également aux femmes pour lesquelles la notion de féminisme est péjorative, et finalement à tous ceux qui se posent ces questions mais aussi à mes fidèles lectrices et lecteurs que j’aime de tout mon petit cœur. Si vous éprouvez le besoin de faire un commentaire, sentez-vous libre d’apporter votre pierre à l’édifice ici-même ou sur la page facebook du blog. Je dois en revanche vous prévenir que ça ne servira à rien de venir chouiner si vous vous faites sauvagement modérer la yeule. Pourquoi tant de violence ? La réponse plus bas !

C’est quoi le féminisme ?

Wikipedia nous livre cette définition :

Le féminisme est un ensemble d’idées politiques, philosophiques et sociales cherchant à définir, promouvoir et établir les droits des femmes dans la société civile et dans la sphère privée. Il s’incarne dans des organisations dont les objectifs sont d’abolir les inégalités sociales, politiques, juridiques, économiques et culturelles dont les femmes sont les principales victimes.

Pour résumer, depuis à peu près toujours et à peu près partout, les femmes sont considérées comme inférieures. Faibles, conduites par leurs hormones, irrationnelles, incapables de penser par elles-mêmes. Il est difficile aujourd’hui de nier les différences de salaire, de droits, de statut. La lutte féministe consiste donc en premier lieu à rétablir une égalité entre les sexes (définition rapide , nous y reviendrons).

C’est cette altérité intrinsèque qui nous rend antagoniste. La femme est l’Autre, comme le disait si bien Simone. Le second choix.

Ce qui rend le sexisme aussi puissant aujourd’hui c’est cette croyance si fermement ancrée en nous que la femme est profondément différente. Différente de la valeur par défaut, l’homme. On retrouve souvent dans la l’imagerie populaire cette image de femmes guidées uniquement par leurs sentiments, leurs envies et pulsions, ou leurs « humeurs » (“Tiens, tu es de mauvaise humeur, tu as tes règles ?” “Non, c’est dans deux semaines, mais je ne manquerai pas de te le rappeler”). La religion a fait du beau boulot à ce niveau-là, la société a pris le relais, engendrant un ensemble d’oppressions systémiques (pratiques, de politiques, de lois et de normes qui défavorisent un groupe ou une catégorie de personnes) (*).

Cela passe aussi par les médias et surtout la publicité qui sont de bons indicateurs. Ainsi, dans les années 50 nous pouvions voir ceci :

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  Brouhaha ! Les années 50 ! Quelle bande d’arriérés ! Ah mais on est en 2014 madame, on verrait plus ça de nos jours ho ho ho !

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Ah ouais ça a vachement évolué. Si, regardez : elle a moins de vêtements. Tout ça bien évidemment parce que la fâme a voulu plus de liberté sexuelle, la voilà bien attrapée ho ho ho.

(Si vous voulez plus d’exemples de publicités sexistes, n’hésitez pas à vous rendre sur la page Facebook de “Je suis une pub sexiste”)

La femme ? Les femmes ?

La notion de féminité unique nous cantonne dans un rôle préformaté : LA femme (ou la fâme) est douce, jolie, gentille, fait le ménage et s’occupe des enfants. Point barre. En disant “LA” femme, on utilise cette représentation surannée pour caractériser la moitié de la population humaine quand même ! C’est une manière de nier nos différences intrinsèques et d’imposer un seul modèle, celui de la femme idéalisée.

LES femmes sont multiples, différentes, uniques. Une femme n’est pas forcément femme biologique (=née avec un utérus et un vagin). Une femme peut être intersexe ou trans*, les grandes oubliées des combats féministes… Aller au delà des injonctions patriarcales de féminité nous libère. Cela ne veut pas dire qu’une femme ne doit pas être féminine, cela veut dire qu’une femme a le droit de choisir seule sa manière de voir son corps, de s’habiller, de s’épiler ou pas. Une femme ultra-féminine n’est pas une salope, elle prend l’apparence de ce qu’elle ressent à l’instant T. Cette même femme pourra aussi s’approprier les codes masculins sans que pour autant on puisse se permettre de remettre en cause sa “féminité”. Enfin, une femme pourra être parfaitement heureuse à la maison avec ses enfants, si cela est son choix.

Il est nécessaire de nous affranchir de nos stéréotypes, d’acquérir notre propre liberté. C’est en cela que la lutte féministe transcende sa propre étymologie : combattre pour les femmes, pour les homosexuel-les, les trans*, les intersexes…et les hommes. Combattre le patriarcat c’est combattre un système de valeurs obsolète, injuste et injustifié qui ne profite finalement à personne sauf au haut du panier (aka l’homme blanc cishet…vous avez pigé le truc). Cette lutte se positionne au niveau social mais aussi au niveau de tout le système économique qui découle de ce postulat de base : il y a des forts, il y a des faibles, que ces derniers se démerdent avec ce qu’on a la grande bonté de leur laisser.

Nous dénonçons l’hypocrisie nommée patriarcat, qui touche chacun d’entre nous et nous enferme dans nos cases.

Bouh ! Djendeur !

La grande vague d’indignation que nous avons connue récemment en France avec le “contre mariage pour tous” reflète bien l’état d’esprit rétrograde qui anime encore trop d’individus. La présence de ce mouvement “contestataire” à lui-seul pourrait d’ailleurs justifier la nécessité du féminisme.

Au-delà de l’homophobie flagrante de ce mouvement de blaireaux dopés aux hormones de croissance et aux confitures Bonne-Maman, nous avons donc découvert que nous défendions la “Théorie du Genre”. Pour résumer en reprenant les mots de ce site probablement développé sous Frontpage qui est l’Observatoire du Djendeur :

Le fondement de cette théorie consiste à nier la réalité biologique pour imposer l’idée que le genre « masculin » ou « féminin » dépend de la culture, voire d’un rapport de force et non d’une quelconque réalité biologique ou anatomique.

Ah ! Mais pourtant, c’est pas faux, la Nature nous distingue bien, il est donc anormal de vouloir aller à contresens, nous sommes de dangereux dégénérés dégenrés !!!

Sauf que…

Sauf que la théorie du djendeur n’existe que dans la tête de nos amis à poils drus qui paradent le dimanche avec leurs poussettes et leurs drapeaux roses (pour les filles) et bleus (pour les garçons). A la base, il y a les “Gender Studies” qui visent à étudier l’impact sociologique de l’éducation genrée sur les populations : pourquoi trouve-t-on plus de femmes dans certains domaines professionnels, pour quelle raison la répartition des tâches domestiques est-elle si déséquilibrée, etc. De là, offusqué-es par cette vile tentative de bouleversement des mœurs tels qu’enseignées dans les manuels scolaires d’antan, la frange radicale monte au créneau et diffuse un monceau de contre-informations toutes plus insensées les unes que les autres (La masturbation à l’école primaire ? Sérieux ??!), prises pour argent comptant par les personnes les moins bien informées et reprises par les mouvements d’extrême-droite.

Pour en savoir plus sur les intox de la théorie du djendeur, je vous conseille cet article du Monde qui reprend les grandes lignes, et cet article de Rue89 si vous n’aimez pas Le Monde.

Oui, un garçon et une fille sont différents. Pour quelle raison ? Parce que nous les éduquons comme nos parents nous ont éduqués, comme leurs parents les avaient éduqués. Les enfants apprennent très vite à se modeler selon les désirs de leurs parents. Il est donc logique qu’un petit garçon, à qui on demande de “ne pas pleurer comme une fillette” et de ne pas jouer à la poupée développe un comportement stéréotypé. Il est logique qu’une petite fille veuille jouer à la dinette, être jolie, souriante, disciplinée, car il s’agit de valeurs transmises au fil des générations. C’est ce modelage qu’analysent entres autres les Gender Studies. En réalité, et ce malgré les travaux récents en imagerie médicale sortis récemment, les arguments en faveur d’un comportement lié à l’unique aspect biologique sont vraiment très faibles. Les différences biologiques sont réelles, mais ne peuvent à elles-seules définir nos comportements sociaux.

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Ce « guide de la parfaite épouse » ne date pas de 1960, mais est très largement inspiré de divers ouvrages sur le sujet. Un demi-hoax.

L’argument Naturaliste

“Oui, n’empêche qu’on ne peut pas nier les différences biologiques entre les hommes et les femmes !”

D’une part, c’est faire l’impasse sur toute une partie de la population à l’instar des personnes intersexes, trans* et bigenres. Perso, je ne vais pas pratiquer un examen gynécologique sur chacune de mes amies afin de bien m’assurer qu’elle n’a pas de pénis. Question de respect.

D’autre part, en faisant un gros effort et en admettant que TOUTES les femmes sont pourvues de l’outillage nécessaire à la procréation (ce qui est finalement la véritable question derrière l’argument naturaliste), je ne vois toujours pas le rapport. Une femme peut vaquer aux mêmes occupations qu’un homme, et inversement. Un homme biologique, s’il ne peut pas procréer seul, peut s’occuper d’enfants, aimer le rose, vouloir porter des robes, pourquoi pas ? Aucune activité ne nécessite absolument de posséder un pénis ou un vagin, sauf erreur de ma part (Non, l’hélicobite ne compte pas !). On peut évoquer la force physique, mais quand on voit par exemple que Varya Akulova battrait pépère au lancer de tronc la totalité de mes connaissances masculines, ça me fait doucement rigoler. Une femme avec un entrainement militaire, par exemple, n’a rien à envier à ses camarades pourvus d’organes génitaux masculins, pendouillant de surcroit à l’extérieur de leur abdomen, point faible ô combien douloureux pour ces messieurs.

Dans les faits, les femmes biologiques ont bel et bien une physiologie différente, il serait inutile de le contester. De taille en moyenne inférieure, elles ont par exemple un moindre volume sanguin et une musculature moins importante. Et alors ? En quoi, dans notre société actuelle, ces faits seraient-ils d’une quelconque importance ? Nous ne devons plus survivre en milieu hostile, nous vivons pour les plus privilégiés d’entre nous à l’abri du vent, du froid, des prédateurs. En quoi ces différences structurales justifieraient-t-elles ce statut d’infériorité féminine ?

La seule véritable différence réside donc en cette capacité reproductive.

Les femmes biologiques ont leurs règles, et peuvent porter des enfants. So what ?

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C’est tellement mystérieux que dès le paléolithique, les cultes à la Déesse Mère (Gaïa) vénéraient cette fertilité et cette capacité magique de donner la vie. Ce n’est qu’en 3000 av. JC (selon les sources, et vous conviendrez que comme on n’était pas là on a bien du mal à dater ça correctement) que les mystères de la procréation seront mis à l’écart au profit de la Très Sainte Bite. Ce culte de la maternité, s’il existe toujours et on le constate bien dans la plupart des religions, a relégué la femme au rang de simple procréatrice, pourvoyeuses d’enfants si possibles mâles, vouée à servir loyalement l’Homme.

Je me permets de citer Simone de Beauvoir qui cite elle-même Engels (citationception !)

C’est selon cette perspective que Engels dans l’Origine de la famille retrace l’histoire de la femme : cette histoire dépendrait essentiellement de celle des techniques. À l’âge de la pierre, quand la terre était commune à tous les membres du clan, le caractère rudimentaire de la bêche, de la houe primitives limitait les possibilités agricoles : les forces féminines étaient à la mesure du travail exigé par l’exploitation des jardins. Dans cette division primitive du travail, les deux sexes constituent déjà en quelque sorte deux classes ; entre ces classes il y a égalité ; tandis que l’homme chasse et pêche, la femme demeure au foyer ; mais les tâches domestiques embrassent un travail productif : fabrication des poteries, tissage, jardinage ; et par là elle a un grand rôle dans la vie économique.

Par la découverte du cuivre, de l’étain, du bronze, du fer, avec l’apparition de la charrue, l’agriculture étend son domaine : un travail intensif est exigé pour défricher les forêts, faire fructifier les champs. Alors l’homme recourt au service d’autres hommes qu’il réduit en esclavage. La propriété privée apparait : maître des esclaves et de la terre, l’homme devient aussi propriétaire de la femme. C’est là « la grande défaite historique du sexe féminin ». Elle s’explique par le bouleversement survenu dans la division du travail par suite de l’invention des nouveaux instruments. « La même cause qui avait assuré à la femme son autorité antérieure dans la maison : son confinement dans les travaux du ménage, cette même cause y assurait maintenant la prépondérance de l’homme ; le travail de ménage de la femme disparaissait dès lors à côté du travail productif de l’homme ; le second était tout, le premier une annexe insignifiante. » Alors le droit paternel se substitue au droit maternel : la transmission du domaine se fait de père en fils et non plus de la femme à son clan. C’est l’apparition de la famille patriarcale fondée sur la propriété privée.

C’est en ça que le combat féministe est également une approche économique et politique. Notre système économique actuel ne peut se dispenser de cette notion d’asservissement, qu’il s’agisse de femmes ou de travailleurs précaires (qui sont souvent des femmes d’ailleurs). Si cette vision n’est pas partagée par tous les courants féministes, l’image est tout de même assez parlante.

L’argument de la complémentarité Femme/Homme est lui aussi un piège mortel. Cette complémentarité n’a de sens que dans la perspective purement reproductive. Affirmer par exemple que l’art féminin est par essence différent est réducteur, étant donné qu’il y a autant de féminités que de femmes. On nous dit “Oui mais regarde, dans la rue, un homme doit protéger sa femme” “Au sein du foyer, l’homme ramène les sous, la femme s’occupe du reste”. Mais si une femme a un risque plus élevé de se faire agresser dans la rue tard le soir, ce n’est pas parce qu’elle est faible mais…parce que certains hommes sont des agresseurs. Si l’homme est le principal pourvoyeur de fonds au sein du couple, c’est qu’une femme gagnera moins à travail égal ! Cet argument s’auto-consume dès lors qu’on va plus loin dans la réflexion.

Et ouais, le féminisme c’est vraiment pas ce que vous croyez (et c’est tant mieux).

Objection !

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Mais nous n’avons plus besoin du féminisme !

Toujours pas convaincu-e ? Ça tombe bien, j’ai encore pas mal de choses à dire.

Voici le genre de trucs qu’on peut retrouver chez les MRA (Men’s Right Activist / Masculinistes)

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“Avez-vous besoin du féminisme ?

Les femmes dans votre pays ont le droit de : voter ? Conduire ? S’habiller comme bon leur semble ? Aller à l’école ? Divorcer de leur mari ? Devenir propriétaires ? Sortir seules ? Ne pas être excisées ? Avoir une carrière ? Choisir qui elles épousent ? Obtenir de l’aide si elles sont agressées ?

Si vous avez répondu oui aux questions ci-dessus, félicitations ! Vous n’avez pas besoin du féminisme !”

Les femmes ont le droit de conduire, de voter, de travailler, c’est quoi le souci ? On veut quoi de plus ?

  • Le droit de vote a été inscrit dans la loi en 1944.
  • Ce n’est qu’en 1965 que les femmes mariées ont pu travailler sans l’autorisation de leur époux. En 1970, l’autorité paternelle et la notion de “chef de famille” sont supprimés.
  • La dépénalisation à l’IVG a lui aussi presque 70 ans, mais comme on a pu le voir récemment en Espagne, ou récemment en France, rien n’est acquis…
  • Les femmes sont scolarisées, mais comme nous le verrons plus bas, on les incite très jeunes à choisir des voies littéraires, sanitaires ou sociales.
  • Les femmes peuvent s’habiller librement, mais la question sera toujours posée en cas de viol. D’ailleurs, on évoque l’aide aux victimes…seules 10% des femmes violées portent plaintes, et sur ces 10%, seuls 3% des cas sont jugés aux assises. 96 % des auteurs de viol sont des hommes et 90 % des victimes sont des femmes.

Valérie Crêpe Georgette nous en parle bien ici : les familles préfèrent avoir un garçon plutôt qu’une fille, les petites filles sont “douces, gentilles, sensibles”, seront allaitées moins longtemps, entourées de moins d’égards. Une fille sera encouragée à être séduisante, belle, attentionnée, peu agressive (*)

Dans les livres, dessins animés, séries, films, les rôles féminins sont stéréotypés, plus faibles et globalement moins présents (*)

Il n’est pas lieu ici de contester cette inégalité effective étant donné la masse d’informations et statistiques démontrant cette réalité. Mais allez, j’ai envie de me faire un peu “plaisir”.

En France :

  • Les femmes gagnent 24% de moins que les hommes.
  • On compte 20,8% de femmes présentes dans les conseils d’administrations du CAC 40, dont 2% de PDG (INSEE)
  • Les femmes passent 4h de temps aux tâches domestiques, contre 2h30 pour les hommes.
  • 31% des femmes travaillent à temps partiel, contre 7% d’hommes.
  • Une fois à la retraite, une femme touche 932€ en moyenne contre 1603€ pour un homme.
  • 1/3 des familles monoparentales est pauvre, dans 9 cas sur 10 il s’agit d’une mère seule.
  • Depuis le début du 20ème siècle, 16% d’écrivaines ont obtenu un prix littéraire.

Le ministère des droits des femme a édité une brochure très parlante (ici) :

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Vous aimez les chiffres ? Vous en voulez encore ? Voici le gender gap report 2017. Enjoie.

Les féministes veulent juste dominer les hommes !!!

C’est un des premiers à-priori que nous rencontrons, et c’est LA question récurrente. Les femmes ne veulent pas l’égalité, naïfs que vous êtes, les femmes veulent juste dominer les hommes !

Maintenant, posez-vous la question. Nous avons été opprimée durant des siècles. Pour quelle raison voudrions-nous à notre tour infliger cette souffrance ? Par vengeance ? C’est un peu gros, non ? Tout ça juste pour ça ???

Et pourquoi cette obsession de la domination ? Souvent, je me rends compte au fil des discussions qu’il s’agit plutôt de la peur de perdre ses privilèges. Cela est surtout dû à une incompréhension primordiale : les féministes ne veulent pas abolir les privilèges, elles souhaitent que chacun puisse bénéficier des mêmes chances. Si par exemple vous ne vous déplacez pas en fauteuil roulant, vous n’aurez pas de difficulté à vous rendre dans n’importe quel commerce. Une personne à mobilité réduite se verra dans l’incapacité d’accéder aux mêmes endroit que vous. La pose d’une rampe d’accès permet cette accessibilité. Au final, vous aurez toujours accès au magasin, et les utilisateurs de fauteuils roulants également. Vous ne perdre pas notre privilège, mais l’autre gagne cette accessibilité. Le sens du mot privilège se voit ainsi dépouillé de sens : en effet, vous n’aurez plus “cette possibilité que l’autre n’a pas”, vous aurez “cette possibilité tout court”. Finalement, tout le monde est gagnant (et les commerçants ou les institutions publiques devraient sérieusement commencer à se bouger le cul pour permettre à tous d’accéder à leurs locaux.)

Je comprends qu’il soit déstabilisant de se rendre compte de nos privilèges. Je suis blanche, hétérosexuelle, cis. J’ai beaucoup de privilèges liées à la couleur de ma peau, à mon orientation sexuelle, mon genre correspond à mon sexe. Je ne subis pas d’oppression raciste, homophobe ou transphobe. Cela a impacté, sans que je le réalise, ma perception du monde. En prenant conscience de mes privilèges, je peux travailler à ne pas opprimer mes interlocuteurs et à rendre ce dont je bénéficie accessibles aux autres. Cela ne me gêne pas car j’ai simplement envie de vivre dans un monde juste. La première phase est cette prise de conscience. Souvent, le terme de privilège “agresse” certaines personnes qui peuvent se sentir menacées, culpabilisées, alors que finalement, la faute initiale n’est pas de leur fait, mais du système. Ne soyez donc pas systématiquement sur la défensive lorsqu’on vous dit de checker vos privilèges : vous n’êtes pas coupable de la société. Vous êtes en revanche coupables de la diffusion de ces stéréotypes.

Corolaire #1 : “Les féministes détestent les hommes !” aka “MISANDRIIIIE”

Encore une fois. Pourquoi faire ? Quel est l’intérêt ?

Cette posture est issue de la croyance fondamentale que les féministes sont toutes lesbiennes. <sarcasm> C’est bien connu, c’est uniquement par haine des hommes que les femmes choisissent de devenir lesbiennes.</sarcasm>

On constate bien ici l’insécurité quant à la liberté sexuelle féminine considérée comme anormale. Les femmes ne dépendent pas des hommes, plus maintenant. Offense suprême, les moyens alternatifs de conception de gnomes leur permet même aujourd’hui de procréer sans eux. On peut refuser un rapport sexuel (scandale !), même après un resto et des fleurs (re-scandale), même dans le cadre du mariage (re-re-scandale !). Pire, on peut jouir sans eux, et même jouir d’eux sans obligatoirement leur présenter nos parents au préalable. Cette liberté qui était l’apanage des mâles, des vrais, est désormais universelle. Ce qui était jusqu’alors un privilège masculin devient un droit pour tous.

Et ressort, invariablement, l’image du Nice Guy, de la soit-disant Friendzone, des “salopes”… Privés de leurs repères confortables, certains se retrouvent tant démunis que le repli identitaire leur semble la seule option. Et dire que c’est nous, les “communautaristes” de l’histoire, c’est pas ironique, ça ?

Au contraire, les mouvements féministes (pas tous)  s’ouvrent au monde, conquièrent des territoires, plantent leurs drapeaux un peu partout. A l’opposé de la sécurité du giron communautaire, finalement.

(Reiser, “Les copines”, 1985)
(Reiser, “Les copines”, 1985)

Corolaire #2 : “En réalité, les femmes ont le pouvoir !”

Cet argument ressort surtout dans deux domaines : famille et sexualité. Je n’ai encore jamais entendu un masculiniste me placer cet “argument” dans d’autres domaines.

Les femmes ont la garde des enfants ! Effectivement, en cas de divorce, la garde est confiée le plus souvent à la mère, et ça oblige de pauvres types à monter sur des grues. Pour rappel, la résidence des enfants a été fixée chez la mère dans 71,8% des cas, en alternance dans 21,5 % des cas et chez le père dans 6,5% des cas. Sauf que dans 75% des cas, le père ne demande pas la garde.

Les femmes choisissent avec qui et quand elles font l’amour. Oh oui c’est INADMISSIBLE §§§

Les femmes n’ont pas LE pouvoir, les femmes se réapproprient petit à petit des droits fondamentaux dont elles ont été dépossédées. La maternité ou l’avortement sont leurs choix, leur corps leur appartient, leur sexualité dépend de leur bon vouloir. Et c’est NORMAL.

Non mais attend ça veut dire quoi “les mouvements féministes” ? Vous êtes pas toutes les mêmes ??!

Bah non, mon p’tit lapin. Toutes les féministes ne se mettent pas seins nus dans des églises, il existe beaucoup de divergences au sein du groupe “Féministe”.

Je vous raconterai la grande histoire du féminisme un peu plus tard et plus en détail. Plusieurs questions divisent les mouvements, comme l’acceptation des trans* MtF (Male to Female –> Homme vers Femme) dans les groupes non-mixtes, le port du voile, la prostitution… Et selon chaque courant, les causes de l’oppression et les moyens de luttes sont divergents.

Dire qu’il n’y a qu’un seul féminisme est aussi réducteur que de dire qu’il n’y a qu’une seule gauche en politique. Chaque mouvement, chaque association a ses spécificités et les tensions entre les groupes sont bien réelles.

Salomé Mélange Instable a par ailleurs écrit un article très juste sur le “Féminisme™” que je vous invite fortement à consulter.

Vous voyez du sexisme partout ! C’est pas un peu parano ?

Oui. Non.

Oui, le sexisme est omniprésent, je vous en parlais ici avec le phénomène “Matrix”. Pire encore, l’homophobie et le cissexisme (sexisme envers les trans*) sont encore plus présents et normalisés. Notre système de valeur est non seulement sexiste mais aussi hétéronormé.

Sexisme dans la publicité, dans les médias, au travail, dans la rue, dans les relations amicales, dans les relations de couple. Sexisme dans les films, les séries, les jeux vidéo. Rien n’est exempt de sexisme.

On le voit bien dans les jeux vidéo avec le syndrome du « nœud rose ». Dans beaucoup de jeux, le personnage féminin est différencié par la couleur de son costume (rose, violet), ou un nœud rose posé sur sa tête. Cet individu est « l’autre », car le personnage principal par défaut est masculin dans la majorité des cas. (ci-dessous, lien Youtube de l’émission Feminist Frequency sur le sujet, pour les anglophones).

Les féministes sont hystériques, violentes, agressives.

Oui et non (surtout non). Si certains groupuscules comme les Femen font vraiment de la merde, ce n’est pas le cas de nombre d’entre nous. En revanche, même un modèle de patience comme moi peut arriver à m’énerver pour de bon lors de certaines conversations.

A CHAQUE fois, lors d’une discussion, vous aurez toujours un homme blanc cishet qui va venir poser son “oui mais”. Et on sort notre bingo, et on coche…

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“Oui mais moi je suis pas un violeur”

Mais…mais…YOUPI ! Franchement, tant mieux, t’es pas un violeur donc…donc quoi ? Tu n’es peut-être même pas homophobe (tu traites pourtant des potes de tennis de “tapettes” quand ils jouent mal, ton fils de “fillette” quand il se casse un bras), tu n’agresses pas les femmes dans la rue, en d’autres termes, tu es un individu normal. So what ? Tu veux un petit massage au monoï et un cookie en remerciement ?

“Oui mais vous généralisez”

Parler d’une oppression systémique c’est parler du système qui génère cette oppression. Si au niveau individuel chacun n’est pas misogyne, c’est loin d’être le cas au niveau social. Nous ne généralisons pas, nous évoquons des faits sociaux. Si je vous dis par exemple que la société laisse crever des sans-abri dehors, je n’énonce pas une contre-vérité. C’est avéré : chaque année, des gens meurent dans la rue. Le gouvernement et notre système capitaliste créent ces inégalités, pas TOI personnellement. Tu n’expulses pas de personnes hors de leur domicile, sauf si tu es huissier ou agent des forces de l’ordre. Mais tu participes (et nous participons tous) à maintenir le système en place. Nous ne te visons pas, toi, nous dénonçons le système dont tu fais partie. C’est assez différent, non ?

“Oui mais vous desservez votre cause” “Vous êtes violentes !”

Certaines vérités ne sont pas agréables à entendre. Nous fonctionnons et favorisons ce système inégal, tous autant que nous sommes. Dénoncer et prendre la parole permet de mettre des mots sur la souffrance et les injustices que nous subissons. Et nous nous sommes tues trop longtemps, c’est plus avec des bisoux que ça va se régler. Tous les mouvements féministes ont été mus par une certaine forme de violence. Les suffragettes ont gagné le droit de vote au prix de leur liberté, parfois de leur vie. Les choses ne changeront pas si nous nous contentons de protester mollement. Car c’est ce que nous avons fait durant des siècles et des siècles sans résultat ! Le droit de vote, le droit à l’IVG, le droit au divorce et à la liberté nous ont coûté; sans cris, sans heurts, nous n’en serions pas là. Je n’approuve pas la violence, mais je sais que sans bousculade, nous n’y arriverons pas. Beaucoup de transformations radicales ont eu lieu dans le sang : révolutions, putsch… Ca serait infiniment cool si tout se passait sans violence, mais il faut être réaliste, au bout d’un moment faut sortir les couteaux.

“Oui mais on est pas en Afghanistan”

C’est exact, enfin pour moi (j’ai peut-être des lectrices afghanes même si Piwik ne m’en voit pas).

Cet argument a le don de m’énerver car :

  • Les personnes qui disent ça n’en foutent pas une pour l’Afghanistan.
  • C’est une vision terriblement centrée sur l’Islam et le voile, en fait, hein.
  • Ca permet d’oublier de manière bien commode qu’on peut et qu’on doit lutter ici et maintenant, car nous en avons la possibilité.
  • Les femmes Afghanes n’ont pas besoin de notre paternalisme…

“Oui mais il faut être humaniste”

…et les autres problèmes vont se régler touts seuls. C’est vrai que l’abolition de l’esclavage a réglé définitivement le problème du racisme, et que le droit de vote des femmes a réglé défi…oh, wait.

(*) “Oui mais moi je suis un homme, blanc, cis, hétéro, et je souffre du patriarcat aussi !”

Le souci pour toi c’est que nous dénonçons une inégalité qui concerne la moitié de la population humaine à laquelle tu n’appartiens pas. Donc nous ne t’inclurions pas dans notre combat. On ne renie pas ton expérience ni tes difficultés. Le but du féminisme n’est pas de fonder une domination féminine quelconque, c’est de dénoncer une forme d’oppression spécifique et systémique. Être une femme, c’est de base partir avec un handicap, que ce soit dans l’éducation parentale et scolaire. On est douces, gentilles, on n’aime pas les maths, chaque maillon de la chaîne nous enferme dans des stéréotypes dont il est difficile de s’affranchir.

Le truc que la plupart des hommes ne comprennent pas, c’est qu’on lutte aussi pour eux.

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“Être privilégié c’est penser que quelque chose n’est pas un problème car ce n’est pas un problème pour vous personnellement.”

Pour que les hommes ne soient pas obligés d’être de gros bras virils, ne soient pas obligés de masquer leurs sentiments, ne soient pas considérés comme faibles ou déviants lorsqu’ils ne collent pas au stéréotype dans lequel ils sont enfermés. On ne nie pas la souffrance des hommes.

Il n’y a pas à vrai dire de gradation dans l’oppression, nous sommes toutes et tous victimes de ce système en tant que femmes et hommes, en tant que travailleuses, travailleurs, individus. Mais en tant que femme (première caractéristique « visible »), nous sommes encore plus victimes de ce système-là. Travailleuses, nous gagnons moins, accédons moins facilement à des postes à responsabilités. Individus consommants, nous payons plus pour les mêmes produits, sommes ciblées par toute une branche des industries cosmétiques, alimentaires, textiles, pharmaceutiques (les médicaments sont par exemple testés surtout sur des hommes, car la variable « hormonale » rend les tests croisés plus aléatoires, donc moins rentables dans le temps. Les posologies sont en général simplement adaptées à la morphologie féminine).
Nous sommes femmes, mères, amantes. Et nous subissons des injonctions contradictoires à longueur de temps, car nous sommes toujours « en défaut » par rapport à tout (trop salope, pas assez sensuelle, trop grosse, pas assez mince, trop aimante, pas assez libre…).

“Oui mais Les hommes sont plus victimes de la violence que les femmes !”

Ah bon ?

En 2010-2011, 5,1% des 18/75 ans ont été victimes de violences. 4,7% des hommes et…5,5% des femmes (0,5 contre 1,3% concernant les violences sexuelles). Les femmes plus souvent agressées par un proche, les hommes par un inconnu.

Selon les chiffres des condamnations (2012) rendus publics par le ministère de la justice :

Toutes circonstances confondues, les viols (1 600 infractions) constituent 46,6 % des crimes sanctionnés. Ils se composent des viols avec circonstances aggravantes (36,6 % des crimes), des viols commis par le conjoint ou concubin de la victime (1,7 %), des viols simples (8,3 %).
Les autres atteintes à la personne de nature criminelle viennent ensuite avec 26,2 % des crimes ; 13 % sont des homicides volontaires et 13 % des coups et violences volontaires ayant entrainés la mort ou une infirmité permanente.

90,1% des condamnés sont des hommes, 9,9% sont des femmes.

Pour finir, ce graphique de l’INSEE :

fem061

Voilà voilà.

Pour finir

J’ai encore BEAUCOUP de choses à dire, mais je termine ici cet article déjà bien long. Si vous m’avez lue jusqu’ici, merci. Je pense continuer cette série d’article avec un volet “Histoire du féminisme” et “Les différents courants féministes”, deux thèmes beaucoup trop touffus pour être casés là.

Si vous constatez une erreur ou remarquez une conjugaison aléatoire, n’hésitez pas à m’en faire part, j’ai beau relire plusieurs fois chaque article, quand on a le nez dedans, ça arrive. Et si j’ai dit des bêtises, n’hésitez pas non plus, je ne le prendrai pas mal, au contraire, je suis beaucoup moins calée que certain-e-s d’entre vous et je n’ai aucune honte à le dire.

Sur ce, je vais retourner jouer à la DS.

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