Ce texte à propos de la violence conjugale est inspiré par cet article : Stop Asking Already: 6 Reasons Why Intimate Partner Violence Survivors Stay in Their Relationships
Au départ, je voulais le traduire, mais déjà je ne suis pas douée en trad, et je préfère une adaptation libre à une traduction maladroite. Ces mots font écho à plusieurs épisodes difficiles de ma vie dont plusieurs années avec un conjoint violent. J’ai fini par partir, mais plus jamais je n’ai dit ou pensé d’une femme qu’elle n’avait qu’à partir. Car rien n’est simple.
Je ne pense pas qu’un trigger warning s’impose, toutefois si vous avez été ou êtes victime de violence conjugale, la lecture de cet article peut s’avérer douloureuse. Je vais faire de mon mieux pour m’exprimer de manière positive et bienveillante en illustrant avec des cuties, n’hésitez pas à me signaler toute formulation qui pourrait être blessante.
Il arrive souvent que notre pensée première lorsqu’on prend connaissance d’une situation de violence conjugale soit : « Oui mais enfin, si iel est victime, iel n’a qu’à la/le quitter ! »
Au-delà du jugement définitif et brutal, ces mots sont infiniment blessants pour plusieurs raisons. Ils minimisent la souffrance, ils reportent la culpabilité sur la victime et surtout ne règlent absolument pas le véritable problème qui est la violence au sein du couple.
Car le problème est la violence, pas la ou le partenaire. Lorsqu’on est agressé-e, on se sent coupable, si l’on est agressé-e par la personne qu’on aime, la douleur est démultipliée. « Pourquoi celle/celui que j’aime me fait du mal ? Mon amour n’est pas suffisant ? Je dois faire des efforts, iel a raison. »
1 Parce que la violence conjugale est cyclique
Notre esprit a tendance à retenir les événements consolidant ses propres croyances (biais de confirmation). Aussi, on a tendance à retenir soit uniquement le positif, soit uniquement le négatif. Admettons que vous ayez une dent contre une personne : dès que celle-ci va commettre une erreur, vous vous sentirez confirmé-e dans votre jugement « Je le savais ! ».
La violence dans le couple n’intervient que rarement dans les premier jours, et c’est logique. Si votre conjoint-e se met à vous frapper au deuxième rendez-vous, vous fuyez. Si la violence intervient alors que vous êtes en couple depuis plusieurs semaines/mois/années, il y a de fortes chances que vous soyez déjà en situation d’attachement.
De même, la violence n’atteint son paroxysme qu’après un moment d’escalade. Tout peut débuter par une insulte, un dénigrement. Puis des brimades, des cris, puis iel vous attrape le poignet un peu brutalement, et finalement les coups. Ce schéma n’est pas à prendre à titre indicatif, car la violence est très souvent psychologique.
Le cycle en question comporte 4 étapes :
- La tension monte : le climat est tendu, des échanges vifs se mettent en place.
- Explosion de violence : les insultes, la violence en elle-même.
- Lune de Miel : l’agresseur s’excuse et fait de son mieux pour « réparer » son explosion.
- Calme : la situation revient à la normale, avant que la tension revienne.
La victime se souviendra de la phase « Lune de Miel » avec une certaine émotion. Au contraire, la phase de violence sera minimisée à posteriori. Plus le temps passe, plus la durée des étapes se raccourcit.
Par le biais de confirmation, la victime s’accrochera à cet idéal de l’autre qui est investi de son amour. Nous, humains, avons du mal à admettre nos erreurs. L’être aimé ne peut pas être un monstre, étant donné que nous l’aimons ! La contraction est souvent impossible, et la réalisation du schéma de cette violence est d’autant plus difficile.
Surtout, nous savons que l’autre peut être aimable, la phase de la Lune de Miel est là pour nous le rappeler. Si l’autre est capable de tant d’affection de temps en temps, il est possible qu’iel le soit en permanence. Si iel ne l’est pas, c’est qu’il y a un dysfonctionnement au sein du couple. Et souvent, la victime se sent coupable de ne pas savoir rendre son agresseur heureux.
« C’est de ma faute, je n’aurais pas dû répondre à ses agressions, je sais pourtant qu’iel s’énerve rapidement ! »
« Iel a raison, je ne suis pas assez bien, je devrais faire des efforts »
2 – Parce que la victime peut être dépendante de son agresseur
Il peut s’agir de dépendance matérielle (la victime ne travaille pas, est immigré-e sans papiers, est coupé-e de sa famille) ou psychologique (dépendance affective, peur d’être seul-e et de ne jamais retrouver quelqu’un).
Cette position de dépendance est le pivot de la relation abusive. L’agresseur connaît la faiblesse de l’autre, peut-être même que cette faiblesse a été la raison de son choix. Après tout, être violent-e avec un-e partenaire de force égale est bien moins confortable.
Et puis partir, oui, mais comment ? Avec quels moyens ?
3 – Parce que la séparation est dangereuse
Beaucoup de meurtres entre conjoint-es sont commis lorsque l’autre décide de partir, le faits divers sont là pour nous le rappeler. D’ailleurs, c’est la menace n°1 « Si tu me quittes, je te tue ». Le moment de la séparation est un point critique extrêmement dangereux. Cela peut être le déclencheur d’une violence inouïe.
Les séparations dans le cadre d’une relation d’abus ne se font jamais dans l’apaisement. On peut choisir de partir lorsque l’autre n’est pas présent, ou de se faire accompagner par des proches. Mais la séparation ne signifie pas la fin des abus. L’agresseur peut retrouver sa victime et la harceler, jusqu’à se rendre sur son lieu de travail. La situation de harcèlement peut parfois durer des années, par exemple jusqu’à ce que l’agresseur se détourne au profit d’une nouvelle victime.
4 – A cause des enfants
Lorsque des enfants sont en jeu, tout change. On a beau dire qu’il est intolérable d’exposer des enfants à de la violence, leur présence rend le départ bien plus compliqué. Si la situation de la victime est souvent déjà précaire (cf. point 2), la logistique nécessaire pour déplacer un ou plusieurs enfants rend la tâche extrêmement délicate.
Les enfants sont également la cible privilégiée de l’agresseur, qui promettra de se venger sur eux. Et parfois, passera à l’action, laissant sa victime en vie et surtout « coupable » de la mort de son enfant. Un châtiment d’une cruauté sans nom.
Obstacle supplémentaire : la garde. Si l’agresseur est co-parent, les choses se corsent… l’abandon du domicile familial étant considéré comme une faute. J’ai souvenir d’une amie à qui on a retiré la garde de sa petite alors qu’elle fuyait son mari violent. Parce qu’elle était en situation de précarité financière, et parce qu’elle avait fui des violences pourtant d’une monstruosité insoutenable.
La volonté de conserver les apparences rentre aussi en ligne de compte. Dans une société maltraitant les femmes seules et les familles monoparentales (qui détiennent, rappelons-le, le record en terme de pauvreté), il arrive que rester en couple soit considéré comme la meilleure option. La famille c’est un papa, une maman, point barre. Dans les milieux les plus aisés ou les plus croyants, on ne divorce pas, on s’accommode tant bien que mal de l’autre, c’est comme ça et pas autrement. Encore une victoire du patriarcat !
5 – Parce que personne n’aide les victimes
Et oui, c’est facile de dire à une victime de partir. Mais allez-vous l’aider financièrement, matériellement, moralement ?
La faiblesse du nombre de refuges ou d’associations d’aide aux victimes est simplement consternante.
Bien souvent, elles ne sont pas prises au sérieux par les autorités. Les plaintes ne sont pas prises, ou n’aboutissent pas, l’agresseur sachant souvent préserver sa façade bienveillante, contrairement à la victime en état de choc, échevelée, désorientée ou en crise de nerfs. Pour couronner le tout, l’agresseur a probablement fait le vide autour de sa victime pour assurer sa précarité émotionnelle. Coupée de sa famille et de ses amis, il ne reste que la/le conjoint-e.
« Partir oui, mais où ? Comment ? Qui va me protéger, et protéger mes enfants ? »
6 – Parce qu’on aime notre agresseur
Point question ici de syndrome de Stockholm. Comme nous l’avons vu plus haut, les violences interviennent rarement au tout début de l’histoire. Une fois la dépendance bien installée, le masque tombe. Et là, on est déjà amoureux-se. Ferré-e. On ne peut pas y croire, cette hébétude peut durer des années. Ce n’est pas possible. Pas la personne que j’aime, en qui j’ai investi ma confiance la plus totale !
« Je dois faire erreur, oui, ça n’arrivera plus, ce n’était qu’une fois, c’est passager. »
On ne quitte pas quelqu’un qu’on aime. Ce n’est pas logique, ce n’est pas dans l’ordre des choses.
« Si je pars, je suis anormal-e, je ne sais pas donner ni recevoir de l’amour, c’est de ma faute, etc. »
Même après que la réalisation de la maltraitance soit faite, la séparation reste souvent inenvisageable. Et puis, on garde l’espoir qu’à force d’amour, d’efforts, l’autre changera. Spoiler : l’autre ne changera pas, car iel est dans un système confortable qui fonctionne.
Pour finir
Rien n’est simple. Une personne victime de violence peut être aveuglée par ses sentiments, coincée dans une situation inextricable, mais n’est pas stupide.
Si vous êtes confronté-e à cette situation :
Ne culpabilisez pas : vous n’êtes en aucun cas responsable de la violence de l’autre. Vous avez répondu à une pique ? Soit. Mais est-ce que la réaction de votre conjoint-e était proportionnée ? On ne peut pas être vigilant-e en permanence, attentif/ve aux moindres détails. Il n’est pas normal de se voir répondre par de la violence, jamais.
Rapprochez-vous de vos ami-es, de votre famille. Ne vous laissez pas isoler. Il faut parfois ruser pour garder le contact, mais c’est important. Si vous avez coupé les ponts avec vos proches suites aux directives de votre conjoint-e, sachez que la plupart d’entre eux répondront présent malgré tout. Ne restez pas dans le silence.
Si vous êtes irrémédiablement isolé-e, contactez une association ou parlez-en dans un groupe de confiance (il y a beaucoup de ressources en lignes, pensez à préserver votre anonymat, utilisez le « mode privé » de votre navigateur ou pensez à nettoyer les cookies et l’historique de votre ordinateur après coup.)
Si vous souhaitez partir, préparez minutieusement tous les détails. Planifiez.
Si vous le pouvez, portez plainte ou faites une main courante (ou plusieurs). Cela ne vous protégera pas miraculeusement, mais vous aurez trace des événements. Si vous devez divorcer, soyez vigilant-e, prenez un conseil juridique.
Vous êtes un-e proche : laissez votre ami-e s’exprimer. Vous avez sans doute réalisé le schéma de violence installé dans le couple car vous êtes extérieur-e à la situation, mais ce n’est peut-être pas le cas de votre ami-e. Ecoutez-la/le. Évitez la confrontation brutale ou toute autre forme d’action directive. Ne devenez pas violent-e vous aussi.
La maltraitance est parfois difficile à détecter, restez attentif/ve. Sachez qu’iel ne vous dit pas forcément tout, mais ne la/le forcez pas à se confier. Soyez une personne de confiance.
Prenez la/le au sérieux. Ne minimisez pas son vécu. Ecoutez-la/le (je sais, je l’ai déjà dit mais c’est important).
Informations utiles
En France :
- Le numéro d’urgence est le 3919. Vous pouvez également contacter le 17 (police) ou le 112 depuis un téléphone portable.
- Site http://stop-violences-femmes.gouv.fr/
- La carte des associations est ici.
En Belgique :
- Ecoute Violence Conjugale : 0800 30 030
- Brochure d’Amnesty International (PDF) avec contacts utiles en pied de page.
En Suisse
- Le 143 – ligne de secours
- Violence Que Faire
Au Québec
- Numéro d’appel pour les violences conjugales à Montreal : 873-9010
- Numéro d’appel pour le Québec : 1 800 363-9010
- RPMHTFVVC (Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale.)
(N’hésitez pas à me faire part d’autres conseils ou coordonnées si vous le pouvez, je les ajouterai)