Cet article a été publié sur le webzine « Ça dépend des jours » dans le cadre de la semaine féministe !
L’univers onirique de Miyazaki est unique. Ses contes nous font nous envoler avec Nausicaä, voyager avec Chihiro, et grimper dans le château dans le ciel. Hayao Miyazaki nous ouvre son cœur à chaque nouvelle merveille apportée à l’écran. Ce n’est donc pas une surprise que la nouvelle de sa retraite ai suscité une vague d’émotion si importante.
Une des particularités du maître est de mettre en scène des héroïnes féminines extrêmement différentes de ce qu’on peut trouver dans les films d’animation japonais classiques et autres Disney à la saveur surannée du bon goût des années 50′ où la femme modèle est avant tout objet, belle et aimable, faible et précieuse.
L’héroïne de Miyazaki, qu’elle soit enfant ou nonagénaire, représente un idéal positif : intelligente, pleine de vie, résolue, elle file dans le ciel vers des contrées inconnues, sauve le monde, redonne un peu d’humanité à un univers parfois extrêmement sombre et voué au chaos.
Il va plus loin encore : ses personnages féminins ne respectent aucun canon de beauté particulier. Grosse, potelée, grande, microscopique, mais jamais sexualisée, point ici de Femme-modèle, mais une Femme éminemment positive. Elle peut être jolie, pourquoi pas ? Ce critère n’est qu’un détail parmi tant de qualités de caractère.
Il n’y a qu’à voir les princesses dépeintes dans tous ces contes ! On est loin de Blanche-Neige ou de Cendrillon…
La princesse Mononoké du film éponyme n’est pas « jolie », elle est une guerrière en lutte contre un système destructeur. Ashitaka, le prince de la tribu des Emishis lui dira qu’elle est belle. Mais c’est à travers leur croisade que leurs cœurs se rencontreront vraiment.
La princesse Nauscicaä de Nausicaä de la Vallée du Vent n’est pas « jolie ». Sensible, féminine, pleine d’amour, mais surtout courageuse, intelligente, et combat de toutes ses forces contre la haine des humains et leur guerre futile qui ravage le monde. Sa sensibilité lui permet de comprendre et d’aimer cette forêt si toxique. Elle dirige, décide, prend l’initiative, déploie ses ailes et part sauver le monde.
C’est une des caractéristiques du Maître : mettre en scène de toutes petites filles, comme dans Mon voisin Totoro, des préadolescentes comme dans Le voyage de Chihiro ou de jeunes adultes comme dans Le Château ambulant, Nausicäa de la Vallée du Vent ou Princesse Mononoké.
Dans Le Château Ambulant, la jeune Sophie est transformée en vieille dame suite à une malédiction lancée par la Sorcière des Landes. Elle perd sa jeunesse, sa beauté, mais reste pleine de vie, d’énergie et d’amour. « En vieillissant j’ai gagné de la malice » dit-elle. Elle semble pourtant regretter sa beauté, alors que Hauru se lamente « A quoi bon vivre si l’on n’est pas beau ? » mais son désespoir ne dure qu’un moment. Finalement Hauru n’est-il pas un tantinet égoïste et capricieux ? Peu à peu, elle se redécouvre dans son nouveau corps, aimante, généreuse toujours émerveillée face au monde.
Si la bagatelle tiens une place importante, le sujet est traité avec douceur et intelligence.
Il serait insensé pour Miyazaki de ne pas aborder le sexisme. Sans jamais tomber dans le paternalisme ou la condescendance, ses films sont aussi émaillés de femmes un peu futiles et d’hommes se sentant tout-puissants. Parfois, des remarques machistes, toujours contredites ensuite, souvent par la moquerie. Mais le sexisme est la plupart du temps traité par un biais positif : on préfère nous présenter des personnages éminemment constructifs plutôt que de sombrer dans une pseudo-éducation qui pointerait du doigt des comportements nauséabonds. Ces derniers sont plutôt démontés par toutes les qualités déjà énumérées des héroïnes mettant en œuvre leur énergie vitale au service de tous. Miyazaki est « avec » et pas « contre ». On le voit bien dans sa manière de traiter les rôles de méchantes dans ses contes.
Contrairement aux méchantes made in Disney, la méchante chez Ghibli n’est pas manichéenne dans un monde binaire. Elle peut être laide, comme la Sorcière des Landes ou vieille comme Sulliman, toujours dans Le Château ambulant, mais aussi belle que Dame Eboshi de Princesse Mononoké, forte et fière que la princesse Kushana de Nausicäa de la Vallée du Vent. Systématiquement, la Némésis aura une toute autre motivation que le Mal pur et absolu. Que ce soit la lutte pour un idéal, un amour perdu, ses motivations sont compréhensibles et portent à réfléchir.
C’est une véritable force dans les différents chefs-d’œuvre d’Hayao Miyazaki. Malgré le spectre de l’apocalypse et de la guerre, de la mort et de la destruction, on ressent un optimisme et un espoir éclatants. Et il est difficile de ne pas adhérer à cette vision du combat qui nous donne à nous aussi l’envie d’agir « pour » un meilleur monde, pour une société plus égalitaire et pacifiste, pour un véritable respect de la nature.
Sophie, Nausicäa, et même Kiki la petite sorcière nous montrent que chaque défi peut être surmonté avec du courage et du cœur.
Finalement, l’Homme de la prophétie était une Femme.
Crédits photographiques : Hayao Miyazaki / Studio Ghibli / Images extraites des films dont les oeuvres sont cités en légende.
La répresentation de la femme au Japon: le cas Hayao Miyazaki http://t.co/xPpDFFKUPg
Pour reprendre les dernières lignes de l’article, qui résument assez bien ma pensée :
La force de Miyazaki et de son oeuvre c’est de toujours refuser le manichéisme en ne pas rabaissant pas l’opposant du héros mais en l’exposant. Ainsi il arrive à créer des histoires qui, si elles sont perçues comme des purs divertissements, portent non pas à une réflexion (*) mais à une modification de la manière dont on peut percevoir notre société, de manière subconsciente.
Dans cette vision du monde qu’il a, les femmes ne sont pas réduites à leur féminité mais à leur volonté, la nature non pas à son utilité mais à sa beauté, les ‘méchants’ non pas à leurs intentions mais à leurs cicatrices.
(*)
Pour moi, on ne peut pas parler ici de réflexion, étant donné que ces films apportent bien plus leur lot d’émotion que de raison peu après après le visionnage, soyons honnêtes 😉