Si y’a un truc que j’aime encore moins que les films larmoyants sur les pauv’s handicapé-e-s tristes et misérables, c’est les films à propos des pauv’s handicapés misérables qui, à force de volonté, parviennent à faire plein de trucs géniaux (on appelle ça de l’inspiration porn).
Attention, je suis super contente pour ces personnes qui ont suffisamment de ressources pour faire face à l’adversité et faire tous ces trucs géniaux, j’ai jamais dit le contraire. Mais ça me laisse un goût un peu sale au fond de la bouche qu’on en fasse commerce, voyez.
Dans mon esprit radicalisé de gauchiste déviante se fait le lien avec l’imagerie de la motivation et le commerce qui en est fait. Vous savez, ces histoires de pauvre type abattu par la vie qui finit millionnaire ? Les incarnations de l’American Dream, perso, ça me fait pas trop rêver. Non seulement parce que je saurais pas quoi foutre de tout cet argent une fois mis en route mes projets divers mais aussi parce que j’ai pas envie d’être obligée de m’acheter un bateau. Mon podologue m’en a déjà parlé : ça coûte super cher en essence.
Quand on veut on peut
Bah moi je veux vachement être en bonne santé, je vous jure, j’y pense chaque jour, je serre mes petits poings en fermant les yeux et tout, mais ça marche moyen. Pourtant j’ai déjà essayé le yoga et les tisanes. J’ai même arrêté le gluten et le lactose à un moment, je ne recule devant rien ! Mais non. Ma seule satisfaction est d’avoir trouvé la réplique de la canne du Dr House (celle avec les flammes). Ok, elle est super classe. Mais jusqu’à présent elle ne m’a même pas permis d’obtenir une place assise dans les transports en commun, alors gloire, argent et bonheur…….
Et puis quand on veut, on peut, mais on peut quoi ? A en croire toutes ces histoires inspirantes, le but c’est au choix : pécho / avoir un dream job / franchir l’Everest / gagner les JO / devenir millionnaire. Moi, de mon côté, mes objectifs c’est plutôt de l’ordre de : réussir à me lever le matin / aller bosser / survivre à ma journée / ne pas m’endormir à 20h30 devant Gumball. Je ne dois pas viser assez haut pour les standards Hollywoodiens.
A moins que ces standards pour la plupart issus de l’imagerie vendue par la société de consommation ne provoquent pas en moi cette étincelle de désir flamboyant de nature à m’encourager à me surpasser, à surpasser la maladie et…oh wait.
A quoi tu rêves ?
Si je suis peu sensible à tous ces récits glorieux et étincelants de personnes qui soulèvent des montagnes à 50k€ c’est sans doute parce que je n’ai pas envie de soulever ces montagnes-là. Déjà c’est lourd, un Everest, déployer autant d’énergie pour accomplir ses rêves à soi me semble un peu too much. Je suis bien plus touchée par les récits de survivant-e-s quel-les qu’ielles soient, qui font de leur mieux pour aider ceuxlles qui se retrouvent dans une situation similaire. C’est sans doute un problème de conception de l’idéal ou je ne sais pas quoi.
Etre altruiste, bizarrement, ça ne dépend pas de la maladie ou d’un handicap. Ça peut arriver à n’importe qui, naturellement, après un truma, un accident ou une réalisation soudaine. Mais je pense que ça vend un peu moins du rêve (le public préfère les histoires de revanche à la Kill Bill je suppose).
Quand je regarde autour de moi, les personnes « normales », malades ou accidentées de la vie, je trouve d’une indécence rare qu’on nous projette à la gueule ces récits de réalisations extraordinaires. Genre nous, les autres, on a qu’à se bouger le cul hein, ho. Pourquoi on le fait pas ?
Pourquoi on le fait pas ?
Une des personnes les plus souvent vues comme « inspirantes » est Stephen Hawking (qui est récemment parti dans le Grand Rien, j’avoue que ça nous a tous fichu un coup à la maison).
Je vais passer rapidement sur les réflexions de merde du genre « maintenant qu’il est mort il est libéré de sa maladie » qui me donnent envie de boire de la colle blanche par les narines.
Mais Stephen Hawking, pas plus qu’Helen Keller (ou que Bruce Wayne), ne sont des héros du prolétariat. Ça n’enlève aucune qualité à leur parcours de vie et à leurs réalisations, il serait toutefois assez hypocrite d’oublier que ces deux personnes ont eu le soutien moral, financier, matériel, pour se réaliser aussi pleinement que possible. En 2018, une personne racisée et pauvre atteinte de sclérose latérale amyotrophique au Royaume-Uni n’a pas exactement les mêmes facilités à se faire soigner et équiper en matériel adapté qu’une personne issue d’une famille plutôt aisée. Pour une Helen Keller, combien d’autres simplement interné-e-s, encore aujourd’hui ?
Pour nombre d’entre nous, le parcours d’accès aux soins est violent.
Pour nombre d’entre nous, la réalisation d’une vie est aussi de rester en vie.
« Tu es tellement courageuse »
Comme je hais cette phrase. Courageuse de quoi ? De ne pas m’être jetée par la fenêtre ? Dans la bouche d’une personne valide je crois entendre « moi à ta place j’aurais pas pu continuer à vivre » et c’est pas un compliment. Ce n’est pas du courage, c’est la vie. On a pas le choix, alors qu’est-ce que tu veux ? On avance. On fait avec, on fait malgré. Le fait de vivre, d’avoir parfois une vie professionnelle, une vie de famille, c’est être dans une forme de « normalité » à laquelle nous avons le droit. Nous dire que c’est courageux est souligner encore plus nos difficultés. Et c’est pas ok.
Et d’un autre côté, il y a ceuxlles qui attendent de nous des réalisations hors du commun, comme ce mec, là, dans le film. Se rendre compte que notre vie peut être aussi morose que n’importe quelle autre vie, que nul destin exceptionnel ne nous attend est sans doute bien déceptif pour ces personnes là. On peut être malade, handicapé-e et être aussi banal-e qu’il est possible de l’être. On peut être handicapé-e ET une personne désagréable voire méchante, oui, aussi. Comme quiconque. Cessez de sacraliser la maladie en voulant nous transformer en ce que nous ne sommes pas : des paratonnerres à malheur.
Parce que c’est vachement rassurant, finalement. Statistiquement, si la personne à côté de toi est atteinte d’une pathologie lourde et compliquée, il y a moins de chances que ça t’atteigne, toi. C’est un effroyable cynisme, mais un effroyable cynisme parfaitement humain.
Pour en revenir à mon propos initial après cette petite envolée dans les contrées du hors sujet.
Je comprends que vous puissiez trouver « inspirantes » des personnes qui surmontent l’adversité. Moi aussi je trouve ces personnes admirables.
A première vue, rien d’offensant, juste du positif et de la bienveillance.
Mais si on creuse un peu on se rend compte que cela signifie à nous autres, les tocards du développement personnel, que non seulement on est défectueuxses, mais qu’en plus on ne fait pas assez d’efforts. Je ne dis pas qu’il faut cesser de présenter des témoignages de survivors qui surmontent des montagnes de linge, ça peut être inspirant. Mais, pitié, que cela ne soit pas la norme attendue de toustes les personnes abîmées. Ça nous fait beaucoup de mal.
Ce n’est pas une question de jalousie, pas plus que j’éprouve de la jalousie envers la réussite financière de Bernard Arnault (au contraire, bâtir des milliards au détriment d’autres personnes, franchement, oui, autant me jeter par la fenêtre direct.) (Bernard, si tu me lis… *wink wink*), mais cela ne doit pas être un standard.
On a le droit à l’échec, on a le droit d’être des personnes qui ratent des trucs, qui désespèrent, qui baissent les bras. Cela ne fait pas de nous des raté-e-s, cela fait de nous des humain-e-s, tout comme vous.
Et lae prochain-e qui me sort une inspirational quote sur Hawking enfin libéré de la maladie, c’est à iel que je fais boire de la colle blanche par les narines. Non mais.
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