Je suis handicapée.
Je travaille depuis mes 18 ans, j’en ai 32. Mon CV est bien fourni, et je me suis battue pour évoluer dans mon travail. Je me suis formée par moi-même, j’ai passé des concours pour suivre une formation très demandée à l’AFPA, j’ai financé un second cursus diplômant dans une branche très en demande. Lorsque je mets mon CV en ligne sur des sites de recherche d’emploi, on me rappelle. Souvent. J’ai un profil et une expérience intéressants.
Et pourtant.
Je suis travailleuse handicapée. Je suis une femme. Et ça, ça change tout.
J’ai eu ma reconnaissance travailleuse handicapée (RQTH) en 2010. J’ai commencé les démarches quand on m’a appris qu’on ne renouvellerait pas mon CDD car j’étais trop absente. Mon rhumato de l’époque avait refusé de me prescrire des béquilles, car « perdez du poids, on en reparlera après ». Lors de mon entretien de bye-bye, j’ai précisé que j’avais entamé la procédure auprès de la MDPH (Maison Des Personnes Handicapées) à mon boss. Sa réponse, révoltante, aurait pourtant dû me mettre la puce à l’oreille.
Ah mais ça change tout ! Revenez nous voir quand vous l’aurez, nous vous reprendrons.
C’était un vrai abruti, du genre ultracapitaliste, et que les inaptes crèvent la gueule ouverte, sauf, bien sûr, si les inaptes peuvent être comptés dans le quota handicapé. Il avait toléré des mois de harcèlement à mon encontre, malgré mes signalements, sans hausser un sourcil. Évidemment, je ne suis jamais revenue.
Alors, j’ai découvert le monde merveilleux de la recherche d’emploi en tant que travailleuse handicapée. J’avais le précieux sésame ainsi qu’une carte de station debout pénible. Je me suis inscrite sur plusieurs sites spécialisés. Rapidement, j’ai eu plusieurs propositions. Oh, beaucoup moins que par les sites classiques, mais quand même.
Et rapidement, je me suis rendu compte que j’étais tombée dans un sacré business… J’étais devenue un quota. On me proposait des postes, loin (« Heu oui enfin 4 correspondances en métro c’est un peu beaucoup… »), sous-qualifiés, sous-payés. En revanche, joie, les employeurs étaient tout miel, pour une fois.
Mon premier job obtenu via une de ces agences, et le seul, fut un calvaire.
Grande boîte prestigieuse, salaire correct, direct en transports. Avantages sociaux, tout ça. Leur opération séduction a bien fonctionné pour moi, je n’en revenais pas de tant d’attentions. Mais petit bémol, le service recrutement s’était « trompé », j’allais faire deux CDD au lieu d’un. Le premier de deux mois et tenant lieu de période d’essai, puis 10 jours non travaillés pour « des histoires de réglementation » (en réalité, pour pouvoir me faire cumuler de longs CDD « légalement »). Je me suis donc retrouvée à devoir faire un CDD de 2 mois, puis un de 6 mois, puis on verra. M’enfin, vous savez bien, quand on est précaire, on accepte tout.
Préalablement à l’embauche, j’ai passé une visite médicale. Elle se passe bien, mais je précise à nouveau mes exigences. La praticienne comprend, et me dit qu’elle viendra me voir sur mon poste de travail pour vérifier que tout est conforme. Je trouve cela un peu excessif, mais elle soupire d’un air entendu. OK.
Le Siège du Malin
Mes seules exigences étaient un fauteuil ergonomique et un repose-pieds. J’ai pensé à une erreur lorsque je me suis assise pour la première fois sur mon fauteuil. Plus tard, j’ai osé le faire tester à mes collègues, nous fûmes unanimes : ce siège était probablement le moins confortable du monde libre. J’ai fini par récupérer un fauteuil normal.
Peut-on être virée pour un fauteuil ? Avant cette expérience, je vous aurai ri au nez, en vous disant que vous avez probablement abusé de substances hallucinogènes.
Au début, tout se passe bien au travail. Je suis un peu familière, certains collègues n’aiment pas trop, alors je rectifie le tir. Cela ne m’empêche pas de bosser comme une damnée et d’apprendre vite, très vite. Je suis une employée exemplaire, attentive, forcenée, dynamique.. Et puis, une des boss part en dépression. Les vautours s’arrachent sa cafetière, son mug, son imprimante…mais moi je lorgne son siège.
Je fais une demande en bonne et due forme, auprès de ma cheffe et de la RH. Le lendemain, la médecin du travail vient me rendre visite, je l’ai mise en copie du mail de demande pour le siège, elle me propose d’aller le voir.
Le siège a disparu. Damn.
Elle est furieuse, je suis piteuse. Les jours passent.
Un de mes collègues m’apprend qu’ils ont retrouvé le siège. Dans le bureau du mari de ma cheffe, qui bosse au même étage dans un autre service…tiens donc. Je décide de ne pas insister.
Sauf que j’apprends que ladite cheffe a su que j’avais su que. Elle me convoque une première fois, pour « faire le point ». Je ne vois pas le rapport, j’y vais, confiante. Et là, dégringolade. Je ne suis pas nulle, maiiiiis…deux trois trucs. Du coup, on va voir pour mon second CDD, mais c’est pas gagné.
« Au fait, ce n’est pas mon mari qui a le siège » me glisse-t-elle à la fin de l’entretien.
Ah ?
Je mène l’enquête. Effectivement, le siège a de nouveau « disparu ». Je commence à comprendre. J’ai pris ma cheffe en faute.
Voyage au bout de l’hallu
Commence le véritable calvaire. Pas celui des heures sup’, pas celui du boulot hyper prenant, pas celui des rivalités entre bureaux. Celui de la pure injustice. Car on me reproche tout. Comme je travaille bien, on cherche le détail qui tue. Je n’ai pas été formée sur une procédure après mes demandes répétées ? C’est de ma faute. Un des commerciaux plaisante avec moi ? Je perturbe son travail.
Et puis mon repose-pieds disparaît. Mon repose-poignet me faisait mal, mais on m’oblige à le remettre « parce que je l’ai demandé ».
Vient la convocation, l’ultime. Celle où je reçois un placard sur la gueule. Les détails, les détails. Elle n’a rien à me reprocher de concret, alors elle dit que je suis « trop joviale ». Sérieusement, trop joviale. Oh, et puis mon poste a été donné à une autre personne, mais on pourra peut-être me replacer dans une autre équipe, si je fais des efforts. Elle le dit sans conviction, je l’écoute sans conviction. Je reviens à mon bureau, je récupère mes affaires sans rien dire.
Puis la RH me demande de venir la voir. Je lui réponds que je sais déjà que je ne reste pas, que ce n’est pas la peine de lui faire perdre son temps. Elle m’appelle sur ma ligne directe, me hurle dessus. J’y vais.
Entretien avec ma cheffe, où on parle de mon « attitude ». Je leur répond que se la faire faire à l’envers, ça fait jamais plaisir, et que j’ai du mal à encaisser les coups bas avec le sourire. On me dit qu’on ne me trouvera pas de place ailleurs si je continue. Je souris.
Parce que vous croyez sérieusement que JE veux continuer à perdre mon temps avec VOUS ?
En réalité, j’ai un entretien le lendemain pour une autre boîte, et un autre le surlendemain. Je leur demande si c’est tout, elles sont éberluées. Je me lève sans attendre leur réponse, je m’en vais. Je ne reviendrai plus jamais.
Je suis un quota
J’avais déjà été engagée car « une présence féminine dans notre équipe ça apportera de la douceur » (sic), à présent je fais partie des 6%. Je suis un quota.
La réalité de la RQTH c’est que si on ne précise pas à l’entretien qu’on est handicapé-e, on morfle. J’ai la chance d’avoir un handicap invisible, je pourrais parfaitement retrouver un travail facilement, mais en général, sans disposition particulière, je ne tiens pas. Alors, je précise mon statut. Mais j’hésite. Beaucoup.
Parce que je sais que je suis tout bénef’ pour une entreprise. Que je travaille dur, et que je les arrange bien.
Sauf que.
Sauf que je n’ai jamais le matériel dont j’ai besoin, ou alors « il faut commander, c’est compliqué » (oui, un repose-pieds c’est 18€, si vous voulez je le commande hein…). Je peux toujours rêver d’un fauteuil ergonomique, je sais que je finirai avec une daubasse MAIS pourvue d’accoudoirs. Luxe.
Sauf qu’on n’aménage jamais mes horaires pour me permettre de me faire soigner chez ma kiné, ou alors à reculons. Bon sang, un jour par semaine j’arrive à 9h30 au lieu de 9h, je comprends, c’est grave.
Sauf qu’on n’envisage pas que je puisse avoir une plus grande fatigabilité. Si je suis fatiguée, on me le reproche.
Sauf qu’on ne tolère pas quand j’ai un jour d’arrêt. On trouve bizarre que je prévienne la veille, même si j’explique que je sens venir les poussées inflammatoires un ou deux jours avant.
Sauf qu’on me regarde de travers quand je viens avec ma canne.
En gros, on veut surtout le quota, mais qu’elle fasse pas chier. Aucune adaptation, c’est à moi de serrer les dents et de fermer ma gueule. Après tout, ils sont déjà bien gentils d’avoir concédé une place à une inapte. D’ailleurs, c’est unE inapte, et on sait bien que les nanas exagèrent toujours leurs petits maux, hein. C’est pas si terrible, sa maladie, elle exagère.
Moi, en attendant, mon corps a dit stop, et a cessé de fonctionner un moment, histoire que je me rende compte que je le poussais à bout sans cesse.
Je travaille bien. Je le sais. Dans mon domaine, je suis douée, compétente, créative et sérieuse. On ne m’a jamais reproché quoi que ce soit à ce niveau, en revanche, on me signale souvent que je ne suis pas très… pratique. Je connais beaucoup de malades qui ne déclarent pas leur handicap. Je les comprends. Le marché de l’emploi c’est déjà une jungle, alors en étant handicapée, c’est pire que tout.
Parfois, il y a des exceptions. Il y a des postes positifs, des boîtes où les boss et les RH sont humains. J’ai eu un contrat, court, dans une boîte qui a vraiment pris en compte mon handicap. Je pense y retourner et je sais que j’y suis attendue. Et ça, ça fait du bien.