(Si les parents de Sabrina me lisent, et si ce texte vous dérange d’une quelconque manière, n’hésitez pas à me contacter pour que je le supprime, votre paix est plus importante que ces quelques mots.)
Je ne m’étais jamais demandé pourquoi les cercueils des enfants étaient blancs. En 1995, je me suis posé cette question, quand je t’ai vue partir dans cette petite boîte couverte de fleurs.
Les hurlements et les pleurs de ta mère me poursuivent depuis ce jour. Et maintenant que j’ai un enfant, je comprends encore mieux pourquoi elle demandait qu’on l’emporte avec toi. 22 ans après, je pense toujours à toi, aux tiens, et surtout à cette mère à qui on a volé sa toute petite.
En 1995, on était au collège. En cinquième. Je t’avais connue à mon entrée en 6ème, on était dans la même classe. Nous n’avions pas d’affinité particulière, à part cette fois où nous étions les deux seules à bout de souffle en course d’endurance. Toi, avec ton asthme, moi avec mon surpoids. On était pas proches, mais on était dans notre quotidien l’une de l’autre.
Et puis, le 7 mars 1995.
Stupéfaction hier à Vandoeuvre (Meurthe-et-Moselle), où Leïla, une jeune Kurde d’à peine 14 ans, a avoué avoir étranglé sa copine Sabrina, dans les toilettes de leur CES. Mobile: «Une histoire de gamine dérisoire», indique le procureur.
A 13 ans, nos histoires n’avaient rien de dérisoire. Des histoires de notes, de mode, des histoires de cantine ou de copines. Toute notre vie, en somme, dans une période où le plus petit grain de sable devient montagne. Je comprends que les adultes n’aient pas compris comment une histoire de vol a pu finir dans les toilettes du 3ème étage, près des salles de SVT. Un mobile dérisoire, un acte gravissime…
Je pense que personne ne saura jamais pourquoi. Avec les années, 22 à présent, je peux trouver des raisons, mais je n’ai jamais trouvé de réponse.
« Pourquoi tu m’as traitée de putain ? » Pourquoi ? Pour toute réponse, il ne reste qu’un insondable silence, Muré dans une petite tombe du cimetière du village de Charmes dans les Vosges. La question, c’est Leïla, 14 ans, qui la pose à sa meilleure copine, Sabrina, 13 ans. Elles viennent de sortir du cours de sciences naturelles de la classe de 5e. Ni l’une ni l’autre ne viendront déjeuner à la cantine. En début d’après-midi, ce 6 mars 1995, un surveillant du collège Jacques-Callot de Vandoeuvre-lès-Nancy découvre le corps inanimé de Sabrina derrière la porte des toilettes du troisième étage. Ses lèvres sont bleues, sa gorge est serrée par une cordelette en nylon. Sabrina est morte. Pourquoi ? dans l’attente de son procès, dans sa cellule de la prison Charles-III, la meurtrière a dû se la poser à elle-même de nombreuses fois cette question. « Je croyais que Sabrina faisait du cinéma. Pour moi, elle n’est pas morte, je n’arrive pas à y croire ». C’est ainsi qu’elle résume un meurtre pratiquement unique dans les annales de la justice et de l’Education nationale. Un drame qui a mis mal à l’aise la France entière. Parce qu’il concerne deux jeunes adolescentes, des gamines. Un acte incompréhensible que tous les parents inquiets ont mis sur le dos de la violence à l’école. (source : l’Est Républicain)
Ces souvenirs font remonter beaucoup de choses à la surface. Le temps du collège, le temps des transgressions. Leïla habitait dans la cité près du collège, moi je traînais avec quelques grands frères. Un bébé, encore moi-même, « la bourge » ou « l’intello », la fille qui, le 7 mars 1995, avait invité ses camarades du ours de Russe à faire une séance de spiritisme chez elle avant que son petit monde s’écroule. Moitié enfant, moitié ado qui fumait des clopes « et pas que », qui buvait ses premières bières et sifflait parfois de la vodka avant d’aller en cours. Détruite, différemment, par un agresseur à demeure qui, enfin, la trouvait trop adulte pour lui. Je ne peux pas repenser à cette période sans que ma gorge se serre, parce que maintenant je sais que les choses auraient pu tourner bien différemment.
Sabrina, tu es dans mes pensées très souvent. J’ai renoncé à chercher des réponses, il n’ a plus que la douleur aujourd’hui. Et je pense fort à ta maman que je revois encore ce jour là, agrippant ton cercueil blanc.