Faux viols et vraie manipulation

J’ai vu passer récemment un article du Figaro (bon sang, voilà que je cite le Figaro…) paru le 11 août 2015 et qui mettait en avant deux chiffres sur le viol :

Les enquêtes réalisées auprès des victimes attestent que 10 % seulement des agressions sexuelles donnent lieu à un dépôt de plainte.

Bon, ça on le savait.

Sur les cinq dernières années, les viols dénoncés aux autorités ont augmenté de 18 % (de 10.762 faits en 2010 à 12.768 faits en 2014), tandis que les viols sur mineurs ont grimpé, dans le même temps, de plus de 20 % (de 5 751 à 6 936 faits répertoriés).

La vraie « nouvelle » c’est ça.

Donc moi, je me dis « C’est bien, la parole se libère ». Ce ne sont pas 18% de viols en plus, ce sont 18% de dénonciations en plus. Les victimes ont moins peur et même si le nombre d’agressions reste effarant, le fait de voir le nombre de plaintes augmenter est une bonne chose.

Youpi.

C’est après que ça se gâte.

Oui parce que des fois je lis les commentaires sur les articles, et là, sur celui de Libération qui reprenait la news, je n’ai vraiment pas été déçue…

violelibe
Et encore, je vous passe les propos racistes…

 

Les chiffres

Il n’existe pas à ma connaissance d’étude réalisée en France sur les fausses déclarations de viol. Si vous avez ça sous la patte, ça m’intéresse. Par défaut, je me base donc sur les chiffres étasuniens. Et n’allez pas me dire qu’en France c’est super différent, les chiffres connus sur le taux de déclaration et le pourcentage de femmes violées sont à peu près similaires, il me semble fort peu probable que les françaises portent beaucoup plus de fausses accusations.

On est donc « entre 2 et 8% » de fausses accusations. 2% est un chiffre plus réaliste quand on décortique la méthodologie de ces études, mais je vous laisse lire le doc linké plus haut pour tous les détails.

The Enliven Project nous propose cette infographie assez éloquente :

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Rapist -> Violeurs / Reported -> Dénoncés / Faced Trial -> Jugés / Jailed -> Emprisonnés / Falsely accused -> Faussement accusés

Pour les chiffres concernant le viol sur le territoire français :

Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes

Chiffres INSEE

Un article de Slate qui décortique un peu tout ça

Pourquoi parler de fausses accusations lorsqu’on parle de viol…

…alors qu’elles ne représentent qu’une minorité des viols ? Oui parce que les 2% ce sont 2% sur les viols déclarés, c’est à dire les 10% de viols qui donnent lieu à un dépôt de plainte, et c’est logique, car pas de déclaration, pas de fausse déclaration.

Plusieurs hypothèses :

  1. Les personnes qui s’insurgent contre les fausses déclarations ont un sens aigu de la justice et ne supportent pas de voir des innocents en prison (quand bien même une minorité de plaintes donnent lieu à des condamnations). Et c’est très noble de leur part.
  2. Ces personnes ont entendu dire que ça arrivait souvent. Et comment leur en vouloir ? Je vous passe les « Gone Girl » et séries télé qui abordent le sujet. Les médias aiment ce qui prête à commentaire ou polémique. Combien de vrais viols dans le RER passés sous silence contre l’histoire du faux viol du RER D qui a été hyper médiatisé ? Vous imaginez, vous, si chaque viol faisait l’objet d’un article ? Moi, ça ne me dérangerait pas car ça apporterait de la visibilité, mais ça serait beaucoup moins vendeur. Une histoire de fausse accusation nous promet du sang, des larmes, une injuste condamnation et un rétablissement de la vérité. Hey, ça peut faire deux ou trois semaines d’articles en été quand il ne se passe pas grand-chose, pratique.
  3. Le déni ça permet de passer vite vite vite à autre chose. Le viol c’est les autres, c’est l’étranger, ça n’arrive pas si souvent, Jean-Bidule est un type bien, il ne pourrait jamais faire ça. On est dans un pays civilisé, merde !
  4. On vit dans un truc qui s’appelle la culture du viol, les hypothèses précédentes sauf peut-être la #1 y participent.

Les hypothèses #2 et #3 (et donc #4) me semblent plus probables que la #1 mais vous allez dire que je n’ai plus foi en l’humanité (ce qui est pourtant faux).

Je n’ai vraiment ni le temps ni le courage de me plonger dans le traitement médiatique des fausses accusations ni de vous reparler de la culture du viol. En plus d’autres l’ont fait beaucoup mieux que moi donc je vous invite à aller les lire.

Crêpe Georgette « Comprendre la culture du viol » – Culture du viol et disposition du corps des femmes – Les fausses allégations de viol sont rares (super complet)

(Non je n’ai pas d’action chez Crêpe Georgette) (Je devrais)

Un article sur les Inrocks…qui cite aussi Crêpe Georgette (j’y suis pour rien !)

Oui, c’est un problème.

Je ne serai jamais heureuse de voir une personne innocente en prison. Les fausses accusations de viol sont un problème. Non seulement pour les victimes de ces accusations, mais aussi pour toutes les victimes de viol.

Mais ce n’est pas en remettant en cause la parole des victimes qu’on résoudra ce problème. Des personnes malveillantes, ça existe, et c’est aussi un tout petit peu aux forces de l’ordre et à la justice de faire leur boulot. Si nos gendarmes, policiers, procureurs et juges étaient formés correctement, ça serait déjà pas mal. Former les acteurs de la procédure c’est aussi une manière de leur permettre d’être plus vigilants.

En croyant les victimes, en ne mettant pas leur parole systématiquement en doute (parce que, je vous le rappelle, dans 98% des cas elles ne mentent pas, ces victimes) on permettrait aussi mécaniquement une diminution des fausses accusations.

Actuellement, pour obtenir d’un médecin qu’il fasse une déclaration ITT (Incapacité Totale de Travail) c’est la croix et la bannière. C’est à la victime de faire la démarche de consulter un médecin. Les expertises psychologiques ont souvent lieu durant la procédure judiciaire, soit looooongtemps après les faits.

Et si on généralisait les examens médicaux et psychologiques immédiatement après le dépôt de plainte, ne serait-ce que pour s’assurer que la victime a besoin d’un soutien particulier, au lieu de demander aux déclarantes (*) si elles étaient en jupe ou si elles avaient bu, par exemple ? Ma propre expérience remonte un peu, mais personne ne m’a jamais envoyé à l’hôpital, l’expertise psychologique a eu lieu un an après le dépôt de plainte, et une fois sortie du commissariat personne ne s’est soucié de savoir comment j’allais rentrer chez moi ou si j’étais suivie par un professionnel de santé suite au traumatisme que je venais de décrire.

Et si on accueillait réellement les victimes, avec compassion, compréhension ou même…simplement de la compétence ? Peut-être que ces victimes n’attendraient pas plusieurs heures, jours, années avant de déposer plainte.

(*) je n’évoque pas ici les viols subis par les hommes mais ils sont encore moins pris au sérieux que les femmes lorsqu’ils déposent plainte.

crepe georgette culture du viol - Recherche Google - Mozilla Firefox

Mais réfléchissez un peu !

Ceuxlles qui ont déjà été porter plainte, pas forcément uniquement pour un viol ou une agression sexuelle, le savent : ce n’est pas une expérience agréable. Oui, c’est un euphémisme.

Dans mon cas, j’ai subi deux procédures : un dépôt de plainte avec jugement et tout et tout et un dépôt de main courante pour des violences conjugales qui n’a jamais abouti à rien.

Si c’était à refaire, pas sûre que je le refasse. Pas sûr du tout. Dans le premier cas, mon viol sur mineure a été requalifié en agression sexuelle par personne ayant autorité, et mon agresseur a été relaxé en première instance pour être condamné à 18 mois avec sursis en appel. Pour des viols s’étant déroulés sur plusieurs années sur une mineure, oui. Je n’ai pas été une « bonne victime ». Personne n’a creusé un peu, pas même le psychologue qui m’a demandé si j’avais des orgasmes lors de mes rapports sexuels consentis (ça semblait pas mal l’intéresser). Plusieurs années plus tard j’ai eu l’occasion de porter plainte contre une autre personne, je ne l’ai pas fait.

Pour la main courante, j’y suis allée à 4h du matin, lunettes pétées, gueule en sang. On m’a demandé si j’avais bu (c’était le cas) et si je l’avais provoqué. Quelque temps après, j’ai appelé les secours depuis ma salle de bains, mon agresseur a ouvert à la police. Les agents m’ont traitée d’hystérique car j’étais incohérente dans mes propos, ont souhaité bon courage à mon compagnon, bisou, au revoir.

Et encore, j’estime ne pas avoir vécu le pire en matière de ce qui peut se faire lors d’un dépôt de plainte. Je vous dis : je suis une super mauvaise victime. Mon expérience ne concerne que moi, je suis une exception ?

Rue 89 – Pourquoi l’immense majorité des viols ne terminent jamais aux assises

Donc moi, je me demande pour quelle raison des personnes iraient subir ce genre de choses juste pour faire chier le monde. Selon les stats citées plus haut dans l’article de Crêpe Georgette :

Une étude de 1980 montre que sur 598 adultes âgés de plus de 18 ans vivant dans le Minnesota, plus de la moitié pensent que 50% des accusations de viols sont fausses et ont servi à la femme pour se venger ou pour cacher une grossesse illégitime.

Dans une autre étude de 2007  interrogeant des étudiantes d’une université du Midwest, les interviewées arrivaient à la conclusion qu’environ 20% des accusations de viol étaient fausses.

Dans une étude de 2011, faite auprès d’étudiants masculins, 22% d’entre eux pensent que les femmes inventent un viol « pour se venger d’un homme » et 13% pensent que les femmes « allument les hommes pour ensuite pleurer et porter plainte ».

J’avoue, c’est tellement la joie d’aller porter plainte, de répondre à des questions sur notre vie sexuelle, de revivre les faits encore et encore, de se voir traiter avec suspicion. Une expérience de vie agréable, heureuse, épanouissante.

Mais réfléchissez…

Réfléchissez à pourquoi vous pensez directement aux fausses accusations lorsqu’on vous parle de viol. Vous niez le vécu de 98% des victimes, pour protéger qui, quoi ?

Oh, non, vous, vous êtes quelqu’un de bien. Vous n’êtes pas un violeur. Le violeur c’est l’autre, le « fou », le pervers. Vous, vous êtes quelqu’un de bien. Et puis, ces types-là, faut tous les tuer, les castrer, voilà (hashtag virilisme exacerbé). Les grands moyens, un petit coup sec derrière la nuque et on n’en parle plus.

Pourtant, si
votre réflexe premier est de dire « oui mais des fois elles racontent n’importe quoi, ces bonnes femmes, juste pour nuire » lorsqu’on évoque des violences graves et banalisées, demandez-vous : « pourquoi je veux à tout prix me dédouaner ? »

Si votre réponse au viol c’est la mort ou la castration, demandez-vous : « pourquoi je propose des méthodes dont je suis assuré qu’elles ne seront jamais appliquées au lieu d’agir pour que les procédures existantes soient améliorées ? »

Si vous êtes empli de compassion pour les victimes de fausses accusations grand bien vous fasse, mais demandez-vous : « pourquoi j’éprouve plus de compassion dans 2% des cas que dans 98% d’autres ? »

Demandez-vous : « en quoi je participe à la culture du viol ? »

 

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