Lorsque nous avons lancé ce webzine, nous nous attendions à des réactions sur notre non-mixité assumée. Réactions il y eut, même si moins que prévu. C’est pourtant dans le slogan, mais, si mes années de support technique m’ont appris quelque chose, c’est que personne ne lit jamais les petits caractères. Voilà, maintenant c’est fait.
Il nous semblait important de parler de non-mixité, je m’y colle.
Une histoire d’occupation d’espace
Les hommes constituent 75% des députés et des sénateurs, 80% des ingénieurs, 83% des chefs d’entreprises, représentent 63% de la présence télévisuelle, 80% des « experts » interrogés dans les médias…
L’espace public, politique, économique, médiatique appartient aux hommes. Malgré une mixité apparente, les femmes sont généralement exclues de facto.
Je prendrai ici comme exemple le sauna de ma piscine municipale. Mixte 75% du temps, il est en réalité 100% masculin durant les horaires « mixtes ». Pour quelle raison ? Car en tant que femme, je me sens mal à l’aise enfermée dans une cabine avec 3 ou 4 hommes dans la pénombre… J’ai renouvelé l’expérience à différents horaires, et n’ai jamais croisé une seule autre femme. D’ailleurs, il n’y a pas de créneau réservé aux hommes ! Misandrie ? Non, réalisme. Par défaut, l’espace mixte est dominé par les hommes.
Le problème est le même lors des débats et discussions féministes. Systématiquement (vraiment), un homme prendra la parole sans rien apporter au dialogue. Pour rabâcher les mêmes arguments, donner les mêmes exemples, poser les mêmes questions. Et croyez-moi, il devient fatiguant à la longue de répéter encore et encore les mêmes réponses. Sans parler de perte de temps, il s’agit surtout d’une grande perte d’énergie. Finalement, les hommes se retrouvent encore sur le devant de la scène.
La non-mixité permet non pas de rétablir artificiellement une représentativité féminine, mais nous ouvre la voix en nous autorisant une parole sécurisée, donc libérée.
Une histoire de libération de la parole
En espace associatif, la non-mixité assure une relative sécurité dans les dialogues. Il n’est pas anormal que des associations ou groupes de paroles sur des sujets tels que les violences faites aux femmes soient réservées aux… femmes.
Si tous les hommes ne sont pas des agresseurs, la vaste majorité des femmes agressées le sont par des hommes. Difficile de concevoir un dialogue sur certains sujets en présence d’un homme. Et quand bien même on ne parlerait pas de viol ou de violences mais de questionnements stratégiques ou techniques, la parole est toujours plus libre en non-mixité. Beaucoup de participantes, en présence d’hommes, vont se censurer pour ne pas blesser, habituées aux reparties cinglantes ou larmoyantes de ces derniers.
La non-mixité permet cette sécurité, ce sentiment d’appartenance, d’écoute et de solidarité.
C’est aussi une histoire d’autodétermination. Soumises au paternalisme en permanence, aux injonctions de toutes sortes, cette liberté passe aussi par la prise de nos propres décisions, et le respect de nos propres choix.
Qui mieux que nous sait quels sont nos problématiques, nos besoins ?
Une histoire de privilèges
La grande difficulté lorsqu’un homme écrit sur des problématiques féministes, c’est que bien souvent, il n’y connaît que dalle. Il existe des spécialistes mâles sur le sujet, bien sûr. Mais il est effarant de constater que la plupart des commentateurs sur des débats, par exemple, le font au nom de… leur masculinité. C’est un peu comme un sésame, la masculinité, ça permet d’affirmer des trucs, comme ça. Et on en trouve toujours, toujours, toujours, UN qui va dire « oui mais » juste au nom de la Sainte Masculinité. C’est très fort.
Exemple : lorsqu’on parle de viol, quasi-systématiquement, un mâle viendra nous dire que les hommes aussi se font violer.
- Nous le savons
- Les viols commis sur les hommes représentent 4 à 5% des viols.
- Les viols commis sur les hommes sont perpétrés en majorité par… des hommes.
- Bonus : le féminisme œuvre justement afin que les personnes victimes de viols, femmes ou hommes, aient la possibilité de s’exprimer sans discrimination.
- Cela n’avance pas le débat.
Il est certes important de parler des viols et violences commises à l’égard des hommes. Mais pas forcément en se greffant à un débat concernant des femmes, silenciées depuis toujours sur le sujet. Intervenir sur une telle discussion en avançant l’argument du « oui mais nous aussi » participe à cette silenciation. En prime, ce type d’intervention est la plupart du temps une manière de détourner le débat. Chez les MRA (activistes masculinistes) par exemple, le viol masculin est un des arguments phares. Or, lorsqu’un homme se déclare violé auprès d’eux, il est méprisé.
On retrouve ici cette volonté de représentation masculine comme « prérequis indispensable à toute conversation féministe qui se respecte ». Il est vrai que les hommes sont insuffisamment représentés dans le monde, n’est-ce pas ?
Autre problématique liée : le statut de privilégié.
Chaque homme, aujourd’hui, même les pro-féministes, bénéficient du patriarcat. C’est un fait, c’est incontestable. Tout comme les personnes cisgenre bénéficient de privilèges face aux personnes trans. Affirmer le contraire est faire preuve de mauvaise foi.
Comment, alors, une personne cis pourrait oser s’exprimer e
n nom et place d’une personne trans ? Quelle idée !
Il ne me viendrait pas non plus à l’idée de parler à la place d’une militante luttant pour les droits des femmes noires ou musulmanes. Je tolérerais difficilement qu’un-e personne valide aborde le sujet du handicap en mon nom dans cet espace (Sabrine en parlait indirectement ici).
De la même manière, il me semble incongru qu’un homme s’exprime à la place de la Fâme. Certains écrivains, philosophes ou autres ont fait de bons écrits, certains cinéastes de bons films sur le sujet, je dis pas. Mais il est encore beaucoup trop facile pour les hommes d’être de faux alliés, de parler à notre place, et, encore une fois… d’occuper tout l’espace.
Une histoire de faux alliés
« J’ai une excellente suggestion sur… »
« Vous pourriez aborder le sujet de… »
« Cette lutte est plus importante que… »
C’est choupinou de proposer des idées, vraiment, mais vous êtes-vous un jour posé la question de savoir si les femmes qui militent ne se sont pas déjà posé ces questions ? Le féminisme ça ne se débranche pas quand on est une femme. C’est en permanence. On perçoit le sexisme dans les livres, les films, la musique, les jeux vidéo, on réfléchit, on en parle entre nous… alors qu’un homme peut en général débrancher relativement facilement. Et c’est normal, le sexisme ne le victimise pas en premier lieu.
Les hommes sont en permanence en position d’autorité. Oui, même malgré eux. Cela passe par de très nombreux comportements anodins en apparence : la prise de parole sans réelle justification (« moi je »), la redirection subtile des débats vers les problématiques masculine (« moi aussi je »), les demandes de tone-policing (« ces propos me heurtent »)… anodins car la plupart du temps non violents, mais dévastateurs en pratique.
Une de nos rédactrices prépare un article sur les faux-alliés, je vous laisse donc mariner sur le sujet (et toc !).
Une histoire de contrôle
Finalement, qu’est-ce qui est si gênant dans la non-mixité ?
L’absence de contrôle.
Cette nécessité de contrôle n’est pas obligatoirement consciente, ni même spécifiquement masculine. Il est toujours frustrant de ne pas savoir.
Qu’est-ce qu’elles disent ? Est-ce qu’elles parlent de moi ?
Je suis désolée de vous décevoir, mais… oui et non. Oui, nous parlons des hommes. Oui, nous sommes révoltées, blessées, en colère. Et non, nous ne parlons pas que des hommes. Nous avons, fort heureusement, des dizaines d’autres sujets d’intérêt ! Une émancipation ne se construit pas uniquement contre une oppression, mais aussi avec chacun-e. Il faut briser les chaînes, mais il faut aussi construire nos propres valeurs. Cette subtilité échappe encore trop souvent à certains. Les féministes ne luttent pas pour la destruction du monde libre, elles luttent pour créer un monde juste ET libre.
C’est également une question d’habitude. On parlait d’occupation d’espace plus haut : l’homme n’est exclu nulle part (sauf au sauna le dimanche de 14h30 à 16h), l’espace lui appartient. Se rendre compte qu’on est pas le bienvenu est une expérience curieuse voire dérangeante. Et croyez-nous, nous sommes les premières à le savoir ! Dénigrées, méprisées, silenciées, l’exclusion est notre quotidien.
Non, nous ne sommes pas chagrinées alors que vous expérimentez l’exclusion.
…et une histoire de personnes
C’est un des points de débats très tendu dans la sphère féministe : qui est accepté dans les espaces non-mixtes ?
Il est inconcevable pour moi (pour nous) de procéder à une vérification chromosomique à l’entrée. Je n’ai pas vraiment encore trouvé de terme simple englobant tout le monde (ce terme existe probablement, n’hésitez pas à m’en faire part dans les commentaires) à part celui suggéré par Céline : « personnes concernées par les oppressions de genre ».
Bref.
Notre espace non-mixte n’est pas un espace fermé, bien au contraire. Puis n’importe qui est libre de nous lire et de nous aimer (et de nous envoyer des cadeaux).
FAQ
Je suis un homme cis et…
Je voudrais suggérer une idée d’article pour le webzine.
Personnellement, je n’y vois pas d’inconvénient (attention, je parle pour moi). Mes seules conditions sont que cela se fasse en privé et que vous n’en réclamiez aucun crédit.
Je pense que vous allez repousser les hommes, vous jouez contre votre camp.
Merci de bien vouloir relire cet article et copiez 100 fois « j’écoute quand on me parle ». D’autre part, nous avons beaucoup de soutiens masculins. J’en profite pour leur faire un coucou, car c’est assez réconfortant de voir que finalement, beaucoup de mecs cis comprennent le truc de la non-mixité sans avoir eu besoin d’explication préalable.
Je trouve que c’est dommage, un homme apporterait beaucoup.
Une femme aussi. Nous avons d’ailleurs déjà reçu plusieurs propositions de collaboration de la part de lectrices enthousiastes qui, j’en suis sûre, apporteront beaucoup au zine. Je ne vois pas vraiment ce qu’un homme cis pourrait nous apporter de plus, nous sommes déjà très proches de la perfection.